CHAPITRE II

 

MADAME DE STAEL

(1766-1817)

 

 

            I - Les conceptions liturgiques de MADAME DE STAEL sont le fruit de son éducation à la fois protestante et philosophique.

            II - La description sympathique d'un office protestant.

            III - Elle expliquait le verset "adorer en esprit et en vérité" ainsi qu'une protestante orthodoxe.

            IV - Elle est pourtant moins hostile à l'esthétique catholique que le fut JEAN JACQUES ROUSSEAU.

 

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            I - D'origine protestante et élevée dans un salon que fréquentaient les philosophes, MADAME DE STAEL subit tout naturellement l'influence des idées du XVIIIème siècle. Si elle n'est pas l'ennemie acharnée de toute Liturgie, elle garde une certaine rancune aux pompes catholiques pour leur préférer les cérémonies religieuses des églises protestantes:

            "Il n'est donc pas vrai, ce me semble, que la religion protestante soit dépourvue de poésie parce que les pratiques du culte y ont moins d'éclat que dans la religion catholique. Des cérémonies plus ou moins bien exécutées, selon la richesse des villes et la magnificence des édifices, ne sauraient être la cause principale de l'impression que produit le service divin, ce sont ses rapports avec nos sentiments intérieurs qui nous émeuvent, rapports qui peuvent exister dans la simplicité comme dans la pompe" (De l'Allemagne, Ch. Du Catholicisme).

 

            II - Les descriptions des offices protestants que nous trouvons dans son livre De l'Allemagne sont pour nous d'un intérêt tout à fait particulier, pour la bonne raison que nous ne les rencontrons pas trop souvent dans les oeuvres des écrivains français. Sa sympathie pour de telles sortes d'offices transparaît dans ses écrits en de nombreux endroits:

            Le pasteur "descendit de sa chaire pour donner la communion aux fidèles qui vivent à l'abri de son exemple. Son fils était, comme lui, ministre de l'Eglise, et, sous des traits plus jeunes, il avait ainsi que son père, une expression pieuse et recueillie. Alors, selon l'usage, le père et le fils se donnèrent mutuellement le pain et la coupe qui servent chez les protestants de commémoration au plus touchant des mystères; le fils ne voyait dans son père qu'un pasteur plus avancé que lui dans l'état religieux qu'il voulait suivre; le père respectait dans son fils la sainte vocation qu'il avait embrassé.

 

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            Tous deux s'adressèrent, en communiant ensemble, les passages de l'Evangile faits pour resserrer d'un même lien les étrangers comme les amis; et renfermant dans leur coeur, tous les deux, les sentiments les plus intimes, ils semblaient oublier leurs relations personnelles en présence de la Divinité, pour qui les pères et les fils sont tous également des serviteurs du tombeau, et des enfants de l'espérance.

            Quelle poésie, quelle émotion, source de toute poésie, pouvait manquer au service divin dans un tel moment" (De l'Allemagne, Ch. Du Catholicisme, Office du pasteur de Célérier à Satigny, près de Genève).

            MADAME DE STAEL était touchée par la simplicité de cette cérémonie. Elle n'a pas pris la peine d'analyser l'ensemble des textes, de voir s'il y avait concordance entre les expressions extérieures et les actes intérieurs, si enfin tous les arts y participaient dans une mesure équitable et convergeante.

 

            III - La description du "Culte des Frères Moraves" (De l'Allemagne) relève encore davantage sa prédilection pour les conceptions liturgiques des protestants qui se déclarant adversaires de toutes les pompes ont laissé au développement des arts religieux une place peu importante:

            "L'Eglise était décorée de roses blanches et de fleurs d'aubépine; les tableaux n'étaient point bannis du temple, et la musique y était cultivée comme faisant partie du culte; on n’y chantait que des psaumes, il n'y avait ni sermon, ni messe, ni raisonnement, ni discussion théologique; c'était le culte de Dieu en esprit et en vérité".

            On s'aperçoit très nettement que MADAME DE STAEL expliquait le verset évangélique, que le CHRIST avait dit à la Samaritaine (Jean 4,23-24) ainsi que les protestants orthodoxes le commentent encore de nos jours.

 

            IV - Force est encore de souligner le fait que les connaissances liturgiques de Mme DE STAEL laissaient beaucoup à désirer. Malgré son admiration pour le Génie du Christianisme, elle n'a pas réussi d'abandonner les idées du XVIIIème siècle en matière de Liturgie. Si elle n'est plus son adversaire déclarée tel que l'était JEAN JACQUES, elle penchait pourtant du côté des conceptions protestantes. Ses études sur la culture allemande ne pouvait qu'étayer ses idées. N'était-ce pas KANT lui-même qui désignait la Liturgie du nom d' "Afterdienst Gottes". (a)

 

 

(a) V. KANT, Religion innerhalb des Grenzen der blossen Vernunft (1793). Tout ce que l'homme espère faire pour plaire à Dieu en dehors d'une bonne conduite est l'Afterdienst Gottes, Falckenberg, Geschchte der neueren Philosophie Leipzig, Edit.Veit.1913).