LES  ROMANCIERS

 

 

CHAPITRE V

 

BARBEY D'AUREVILLY

(1808-1889)

 

 

         I - BARBEY D'AUREVILLY tire de la Liturgie des effets lugubres comme le faisait HUGO dans Notre Dame de Paris.

         II - L'Ensorcelée prouve qu'elle jouait en Normandie un rôle assez considérable. Aussi ce roman est-il un document du renouveau liturgique qui commence à s'opérer dans les lettres françaises.

         III - La valeur esthétique de la Liturgie le touche ; sa signification doctrinale le laisse presque impassible.

 

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         I - Nous avons annoncé ce rejeton du Romantisme en parlant du roman Notre Dame de Paris. BARBEY D'AUREVILLY a en effet usé de la Liturgie pour rehausser l'éclat sinistre de ses romans diaboliques. Nous assistons dans L'Ensorcelée à la célébration d'une messe solennelle où le prêtre criminel qui avait ensorcelé une femme innocente fut tué par son mari, au moment où il élevait l'hostie. Et le peuple de Blanchelande, cette ville de Normandie où ce crime s'était produit, racontait que le fantôme de l'abbé de la Croix-Fugan commençait tous les soirs la messe sans parvenir à l'achever.

 

         II - Les descriptions des scènes liturgiques de cet écrivain nous fournissent une preuve excellente du rôle important que la Liturgie jouait chez les Normands tout en nous montrant le renouveau liturgique dans les lettres françaises en général:

         "En Normandie, dans ma jeunesse encore, de toutes les cérémonies qui attiraient la population aux églises, la plus solennelle et qui remuait davantage l'imagination du peuple, c'était les funérailles" (L'Ensorcelée, p.228-229).

         Comme le romancier et le critique littéraire ont leur part d'influence égale dans l'oeuvre de notre écrivain, il n'y aurait rien d'étonnant si nous découvrions parmi les descriptions de diverses cérémonies des considérations intéressantes sur la théorie de la Liturgie.

 

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         "N'oublions pas de dire qu'on était en Avent, dans ces temps d'attente pour l'Eglise, macérée par la pénitence, et qui s'harmonise si bien avec la tristesse de l'hiver. Il semble qu'ayant à son usage toutes les grandeurs de la poésie pour exprimer la grandeur de toutes les vérités, l'Eglise ait combiné, dans un esprit profond l'effet de ses cérémonies avec l'effet de la nature et des saisons" (CHATEAUBRIAND), "inévitable aux imaginations humaines. A cette époque, elle éteint le pourpre dans le violet de ses ornements, emblème de la gravité de ses espérances..." (ibid IV p.75).

         C'est un document manifeste du renouveau liturgique parmi les écrivains effectué par l'action persévérante de DOM GUERANGER.

         Les nombreuses descriptions - mêmes, sorties d'une plume attentive et habile, font preuve de ce renouveau à l'exception de CHATEAUBRIAND et de BALZAC. Les romanciers antérieurs à BARBEY D'AUREVILLY n'étaient même pas pour la plus grande partie conscients du rôle important que la Liturgie tenait dans leur vie nationale. Les détails qu'ils en donnent étaient ou trop sommaires ou trop superficiels.

 

         III - BARBEY D'AUREVILLY goûtait la Liturgie parce qu'il en affectionnait la Beauté. Il appartient à ce courant d'écrivains français qui font plus de cas de la valeur esthétique de la Liturgie que de sa valeur doctrinale.

"...La psalmodie berce les âmes religieuses sur un flot d'émotions divines. Rien n'est beau comme cet instant solennel des cérémonies catholiques, alors que les prêtres, vêtus de leurs blancs surplis ou de chapes étincelantes, marchent lentement, précédant le dais et suivant la croix d'argent qu'éclairent les cierges par dessous, et qui coupe de son éclat l'ombre des voûtes dans lesquelle elle semble nager, comme la croix, il y a dix huit siècles, sillonna les ténèbres qui couvraient le monde" (ibid p.80-81).

         Il confirme l'opinion de TAINE -nous l'avons placée comme épigraphe en tête de notre etude - que "les peuples latins ont été touchés par les dehors sensibles, par la pompe du culte..." On peut donc affirmer ouvertement qu'il est essentiel à la Nation française d'être sensible à la beauté extérieure; et si nous trouvons cependant de nombreux écrivains qui paraissent attacher plus d'importance à la valeur doctrinale de la Liturgie, il ne faut pas oublier que HUYSMANS est arrivé au catholicisme, donc à la croyance de cette doctrine qui est renfermée dans la Liturgie, en admirant tout d'abord les cérémonies religieuses comme l'expression achevée de l'Art. Les romanciers contemporains, les BAUMANN, BAZIN, BOURGET, et plusieurs autres penchent plutôt du côté de ceux pour qui la Liturgie constitue un trésor incommensurable qui renferme la seule vraie doctrine. (a)

         L'importance qu'ils attachent à la doctrine s'explique facilement par leur part active aux luttes religieuses qui secouèrent la France il y a quelques années. Quant à BARBEY D'AUREVILLY lui même, il appartient à la

 

(a) On pourrait aisément ces écrivains englober sous le nom commun   de "Réalistes  liturgiques"

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vieille génération d'écrivains auxquels la Liturgie offrait un spectacle d'un intérêt vif et attrayant, mais qui ne se souciaient pas de laisser franchir à ses ondes le seuil de leur vie intérieure pour qu’elle la transformât par son passage.