CHAPITRE XIX

 

LOUIS LE CARDONNEL

 

 

 

            I - Sentimental comme LAMARTINE et MUSSET, l'abbé LOUIS LE CARDONNEL chante des sujets liturgiques en des vers classiques.

            II - Il s'inspire des Hymnes du Bréviaire et des textes du Pontifical.

            III - La facture de ses poèmes correspond souvent à celle de SAINT-AMBROISE. Aussi paraît-il s'être servi des grands traducteurs du XVIIème siècle.

            IV - Conclusion.

 

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            I - Nous aurions du analyser l'oeuvre de l'abbé LE CARDONNEL même avant celle de BAUDELAIRE et de VERLAINE, si nous avions prêté plus d'attention à son inspiration et à sa forme, qui le place à côté de LAMARTINE et de MUSSET. Toutefois, nous insistons davantage sur sa conception liturgique par laquelle il se révèle l'ami de HUYSMANS et de DOM BESSE. Ce prêtre poète, saisi par le courant liturgique contemporain rêvait pendant son séjour dans l'abbaye bénédictine de Ligugé, de fonder une école d'art liturgique et d'hymnographie. Des aspirations de telle sorte devaient nécessairement laisser des traces profondes dans sa poésie lyrique.

 

            II - Nous trouvons en effet dans les "Poèmes" (1904) et les "Carmina Sacra" (1912) qui nous intéressent avant tout, un grand nombre de poèmes qui évoquent des réminiscences liturgiques ou qui sont parfois même des paraphrases des Hymnes du Bréviaire. La pièce intitulée "A une qui va faire ses voeux" nous fait penser tout spontanément à la célèbre description d'une Prise d'Habit que nous avons trouvé dans En Route. La cérémonie liturgique à laquelle le poète fait allusion symbolise d'après lui les noces avec le Christ d'une âme qui veut expier les fautes d'autrui:

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"Demain les glas sacrés annonceront tes voeux

O toi qui va t'offrir en un chaste offertoire

Pour être, en ce tombeau, colombe expiatoire.

L'an se meurt; où tu vins immoler tes cheveux,

Palpitante à l'attrait des gloires pressenties

Eprise de souffrir plus que les repenties..."

 

            Nous découvrons une inspiration semblable dans le beau poème "A une Bénédictine" où l'allusion aux paroles du texte liturgique est encore plus transparente:

"En toi le monde pleure une éternelle absente

Va, d'un pas recueilli, sous les cloîtres dormants,

Dis l'office, dès l'aube, ayant reçu l'hostie

Demeure les yeux clos dans tes enivrements....

Alors viendra l'Epoux récompenser tes veilles

Ah! dira-t-il, ma Belle et ma Parfaite, accours

Partager avec moi mes royales merveilles."

 

            Les appellations “époux” et “épouse” sont tirées directement du Pontifical. D'autres poèmes comme celui dédié à "Saint-Benoit", à une sainte veuve" ou à un "évêque martyre" prouvent suffisamment l'inspiration bénédictine de cet écrivain.

 

            III - A parcourir son merveilleu poème "Cloîtres", nous croyons en effet assister aux Complies chez les Bénédictines de la rue Monsieur; nous croyons avoir affaire à HUYSMANS devenu poète lyrique. C'est le même sujet qui a charmé ces deux écrivains, avec cette différence que l'un était un romancier et un critique d'art, tandis que l'autre ressemblait plutôt à un LAMARTINE ou un MUSSET devenu catholique pratiquant:

 

"Et les voix qui viennent du choeur,

En ce peu de jour qui persiste,

Ont toujours la même langueur

Le même accent d'extase triste.

 

Invisibles près de l'autel

Les soeurs qu'on devine pâlies

Par l'Amour du Maître immortel

Murmurent lentement Complies.

 

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Et quand les ténèbres se font

Quand la chapelle clôt ses portes

On croirait, d'un caveau profond

Ouïr monter des voix de mortes."

 

            Toutefois ne pouvons nous pas omettre de citer quelques strophes lyriques inspirées directement par les Hymnes du Bréviaire (de St.AMBROISE,  St. GREGOIRE ET PRUDENCE!) et peut-être même par les traducteurs du XVIIème siècle (CORNEILLE, RACINE etc...).

Dans le "Cantique des Moines", nous allons constater le même procédé, dont se sont servi quelques poètes du Bréviaire: après un commencement qui indique la situation à laquelle se rattache le poème, le poète demande à Dieu de le délivrer du péché et de lui donner enfin la vie éternelle. Ces trois parties intégrales constituent ce genre d'Hymne que nous retrouvons chez l'abbé LE CARDONNEL. Le mètre et le style de ses poèmes nous rappellent les célèbres traductions de CORNEILLE. Voici un spécimen de cette nouvelle floraison de poésies religieuses qu'avait tant aimées le XVIIIème siècle .(47)

 

"Un palissant rayon erre le long du cloître

Et le déclin du jour est infiniment doux

Oh tandis qu'ici bas meurt la lumière (a)

Puisse, puisse, mon Dieu votre lumière croître.

 

Soleil qui rayonne sans soir et sans hiver (b)

Nous délivrant du mal aux obscures étreintes (c)

Faites en nous mûrir toutes les oeuvres saintes

Purifiez, Seigneur, notre âme et notre chair.

 

Que nulle herbe mauvaise ou stérile en nous n'abonde

En cette âme, qui livre en vous un triple voeu"

Retranchez par le fer, consumez par le feu

Ce qui nous reste encore des lâchetés du monde

 

(a) "Le soleil finit sa carrière

Dans le fond de nos coeurs verse une autre lumière"

CORNEILLE, Traduction de l'Hymne de SAINT-AMBROISE: O lux beata Trinitas

 

(b) "Et que notre âme ignore le déclin du soir"

Traduction de l'hymne de SAINT-AMBROISE: Splendor paternae gloriae, Albin, p.38)

 

(c) "Resolve culpae vinculum-Everte  moles criminum"

SAINT-AMBROISE, l'Hymne Coeli Deus sanctissime

"Auferte, clamat lactulos-Aegro sapore desides"

PRUDENCE, l'Hymne “Ales Diei Nuntius” traduit par RACINE :

Quittez, dit-il, la couche oisive,

Où vous ensevelit une molle langueur.

           

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Ainsi Quand notre vie atteindra son automne

Nous pourrons espérer le fruit de nos travaux (a)

Et léguer notre exemple à des moines nouveaux

Qui voudront s'élancer vers la même couronne" (b)

 

            Puis le poème "Prière du Soir d'Eté" n'est autre chose que le développement du thème indiqué dans l'Hymne de Complies Te lucis ante terminum, où le poète adresse à JESUS une prière conçue dans la manière de SAINT-AMBROISE, lui demandant de repousser le démon jusqu'au “fond de son Erèbe sombre”, afin qu'il puisse continuer, le lendemain, à le servir avec des forces renouvelées. Nous mettons de nouveau en regard quelques textes pour montrer l'influence des hymnes sur notre poète :

 

"Fais qu'il retombe au fond de son Erèbe sombre"

(Hostem repellas longius; Hymne Veni Creator Spiritus)

           

"Puis le coeur retrempé pour des batailles saintes

Dressés, dès le reveil dans un élan joyeux

Nous te dirons merci...

(Somno refectis artibus

 Spreto cubili surgimus

 Nobis, Pater, canentibus...)

                        SAINT-GREGOIRE

           

 

            IV - C'est ainsi que nous avons signalé les traits les plus saillants de la conception liturgique de l'abbé LOUIS LE CARDONNEL (48). Nous nous joignons au jugement de R. VALLERY-RADOT, (Anthologie, p.225) cet excellent critique littéraire, qui a défini de la manière suivante la poésie de ce poète-prêtre: “Dans l'auteur des Carmina Sacra revit l'art limpide et riche des Fortunat et des Prudence. Un parfum de complies, de chapelle et d'encens s'exhale de ses vers.” Nous y ajouterions que l'art des traductions de CORNEILLE uni à une inspiration lamartinienne et à de larges connaissances liturgiques viennent parfaire les qualités que lui trouve le critique.

 

(a)       "Que tous ceux Là haut dans la patrie

Unis au choeur des anges

A jamais en goûtent le fruit"

CORNEILLE, Traduction de l'hymne de ST. AMBROISE, Summae Deus clementiae

 

(b)"Et donner la couronne aux bonnes actions"

CORNEILLE, trad. de l'hymne de ST. AMBROISE, Verbum supernum prodiens.

"Tu mettes la couronne en nos fronts bienheureux"

DE SACY, trad. de l'hymne de ST. AMBROISE, Aeterne rex altissime.