CHAPITRE XX

 

ENCORE QUELQUES POETES LYRIQUES

 

 

 

            I - LOUIS MERCIER découvre les rapports intimes qui existent entre la Nature d'une part et la Liturgie de l'autre.

            II - Sa poésie rappelle aussi celle dont se sert la Liturgie à propos de la Bénédiction du feu ou des Fonts baptismaux.

            III - ROBERT VALLERY-RADOT exalte la Liturgie à chaque occasion.

            IV - CHARLES GROLLEAU, MAURICE BRILLANT, CHARLES MAURIAC et CHARLES GUERIN, PAUL BONTE, GERMAIN NOUVEAU et THOMAS BRAUN ("Le poète du Rituel").

            V - Les Belges: VICTOR KINON, PIERRE NOTHOMB, G. RODENBACH et EMILE VERHAEREN.

 

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            I - M. LOUIS MERCIER (né en 1870) dont la notoriété va grandissant de jour en jour, a chanté maintes fois des sujets en rapport direct avec la Liturgie. Ses descriptions de cérémonies liturgiques qui se déroulent au milieu de la nature, nous font penser aux écrivains de l’époques de CHATEAUBRIAND; cependant, on jugera bien qu'il y a chez lui comme chez F. JAMMES un progrès indiscutable dans la conception liturgique comparée à celle de ses prédécesseurs. Pendant que la nature fournit un cadre pittoresque au déploiement de diverses pompes, LOUIS MERCIER découvre les rapports intimes qui existent entre elle et la Liturgie. Après nous avoir ainsi décrit, dans son poème "l'Eglise des blés" une procession de Fête-Dieu, marchant au milieu des champs de blés, il conclut:

 

"Seuls, les blés, enfants de lumière,

Les blés très purs, les blés très saints

Vers le Dieu de pain

Osent élever leur prière." (VALLERY-RADOT, p.237)

 

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            Les rapports intimes entre l'Hostie dans l'ostensoir et les épis de blés mentionnés par le poète, signalent le progrès accompli depuis CHATEAUBRIAND dans la conception liturgique des écrivains français. (49)

 

            II - HENRI BORDEAU, de l'Académie française a dernièrement relevé avec justesse le rôle important qu'occupe la Liturgie dans la poésie de LOUIS MERCIER: "Il a dépassé" dit-il, “la poésie purement religieuse, pour parvenir à cette nouveauté ou à ce retour. Une poésie catholique nourrie de dogme et de Liturgie, et par là mêlée davantage à la vie quotidienne, devenue la respiration naturelle des âmes.”

            Le grand romancier nous en donne une preuve marquante dans le même article auquel nous empruntons le passage suivant:

            "L'église est construite" dit l'éminent écrivain, "ses pierres ont été bénies, l'autel a été dressé et voici que le prêtre et les fidèles y pénètrent. Pour la première fois, le sacrifice divin y sera consommé. Voici donc le commencement de la première Messe :

 

L'église s'est ouverte aux fidèles. Voici

Pour la première fois assemblé sous sa voûte

Le peuple dont elle a désormais le souci :

..............................................

 

Et la nouvelle église a ressenti soudain

Un trouble maternel, remuer ses entrailles

Au contact inconnu de ces êtres humains.

 

La chaleur de leur sang réjouit ses murailles:

Ils sont là dans leur chair fragile, avec le coeur

Où de trop vains désirs hérissent leurs broussailles.

 

Avec leur âme obscure, avec leurs sens pécheurs;

Mais ils portent au front le signe du baptême

Mais plus d'un garde encore aux lèvres la lueur

Ineffable qu'y mit le Sacrement suprême...

 

Ah, si pauvres qu'ils soient de vertus et d'efforts

De quel amour profond et pathétique elle aime

Tous ces pauvres vivants qui deviendront morts."

                        (Revue fédéraliste, déc.1921, p.254-255).

            Cette compénétration mutuelle de la Liturgie et de la nature d'une part et du peuple de l'autre caractérisent à notre avis le génie de  LOUIS MERCIER.

            Comme l'auteur des Pierres sacrées puise son inspiration dans la même source où se sont désaltérés les auteurs des temps écoulés, qui ont composé ces merveilleuses prières, dont on se sert par exemple à l'occasion de la Bénédiction du Feu ou des Fonts baptismaux, de même notre écrivain crée-t-il des poèmes qui ressemblent étrangement à ce genre de poésie liturgique.           

 

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            VERLAINE après avoir éprouvé des sentiments semblables à ceux qu'avaient exprimés les psalmistes, donna nombre de chefs d'oeuvre qui nous rappellent la poésie de roi DAVID; LOUIS MERCIER est au contraire unique dans son genre. Nous allons donner la parole à un des connaisseurs les plus avisés des poètes français lyriques contemporains, à J.TONQUEDEC afin qu'il émette son jugement sur cette nouvelle espèce de poésie lyrique:

            "Dans ces poèmes explicitement religieux, la nature prend clairement sa place dans l'ordre surnaturel, seul ordre réel pour le croyant. Les plus humbles éléments y apparaissent élevés à des usages divins, tout couverts de signes sacrés, tout enveloppés de symboles. Chacun d'eux a son histoire surnaturelle. L'Eglise a bien soin de s'y référer quand elle leur parle et leur commande, au cours de sa Liturgie. Elle leur rappelle leur passé religieux et on dirait qu'elle s'en autorise pour agir sur eux. En bénissant les Rameaux, elle mentionne celui que l'on vit au bec de la colombe rentrant dans l'arche et ceux que portaient les Jérosolymites qui acclamèrent le Sauveur. Le Samedi Saint, elle adresse à l'eau une monition solennelle: à l'eau que couvait l'Esprit créateur aux début du monde, qui jaillit en quatre fleuves au Paradis terrestre, qui purifia la terre par le déluge, et qui devenant d'amère douce, désaltéra au désert le peuple de Dieu. La poésie de MERCIER est proche parente de celle-là. Qu'on lise en preuve cette splendide apostrophe au Feu qui doit fondre le métal d'une jeune cloche :

"O le plus redoutable et le plus pur des êtres,

Infaillible artisan des ouvrages de Dieu

Lumineux messager qui ne laisse paraître

Que la prompte clarté de tes ailes. O Feu!

Feu dont le Tout-Puissant forgea le glaive agile

Qui tournoyait au seuil de l'Eden interdit ;

Ange exterminateur qui châtias les villes

Dont le désert n'a pas rendu les os maudits.

 

Feu, soudain ravisseur, impétueux quadrige

Qui, vivant, emportas Henoca au firmament ;

Feu du buisson d'Horeb, étoffe de prodige

Dont l'Invisible a fait un jour son vêtement..."

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            La pierre, l'airain, le verre ont de même une "vocation" surnaturelle. De la convergence de tous ces éléments au service des Mystères, de toutes les beautés matérielles ordonnées à cette fin naît le temple catholique, l'église, l'un des grands objets de la poésie de MERCIER" (a)

 

            III - ROBERT VALLERY-RADOT (né en 1886) est un des représentants les plus en vue du renouveau liturgique dans la poésie moderne. Romancier et critique littéraire, en même temps que poète lyrique du meilleur aloi, il s'exprime encore dernièrement de la manière suivante sur la muse inspiratrice d'un grand nombre d'écrivains contemporains: "Bien que la littérature proprement dite n'y eut qu'une part peu restreinte, nous retrouvions là (dans la Revue des Jeunes)” enseignées et pratiquées, et c'était l'essentiel, les divines sciences qui n'avaient cessé de nous inspirer: la Théologie et la Liturgie, ces deux grandes muses de la vision catholique remises en honneur par les Dominicains et les Bénédictins..." (b)

Nous trouvons dans ces poèmes des allusions liturgiques et dans son livre le Réveil de l'Esprit (1917) où il nous a exposé son credo artistique. R. VALLERY-RADOT il nous convainc que la splendeur de l'office monastique de Noël est à même de toucher profondément ou bien de convertir un incroyant si celui-ci est sensible aux manifestations les plus élevées de la Beauté (p.72-79).

 

            IV - Le recueil L'Encens et la Myrrhe (1906) de CHARLES GROLLEAU nous montre quel empire la Liturgie exerce sur ce converti. Les transpositions poétiques des Litanies de la SAINTE-VIERGE (p.91), les versets des Psaumes placés comme épigraphes à ses poèmes ("In terra deserta, et arida et inaquosa..., ps. 62,3) nous en rendent témoignage.

            MAURICE BRILLANT a pris pour épigraphes dans son petit livre intitulé Musique sacrée et Musique profane (1921) presque les mêmes versets des Psaumes que GROLLEAU a utilisé dans son recueil cité plus haut. Il développe par procédés dynamiques qui confinent à la musique toute cette vie qui parait cachée et pétrifiée, pour ainsi dire dans un seul verset de n’importe quel psaume.

            CHARLES MAURIAC nous indique la place importante que la Liturgie occupe dans la sensibilité de l'écolier français :

"Soirs de mois de Marie, étouffants de parfum,

Samedi d'autrefois pour aller à confesse,

Les petits écoliers viennent l'un après l'un

Dans la chapelle et dans le jour qui baisse

Il se trouble dans le parfum évaporé

Des fleurs qui vont mourir et des cires éteintes..."

                                                           (VALLERY-RADOT, p.336)

 

(a) Révue fédéraliste,Déc.,1921: Un poete classique et chrétien.

(b) Les Amitiés Catholiques Françaises, du 15 Août 1922, p.20)(50).

 

 

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            CHARLES GUERIN, ce poète tendre et consumé de passion (LANSON Hist. de la Litt., p.1132) rappelle souvent à notre mémoire les Psaumes pénitentiaux qui correspondent le mieux aux tourments et aux inquiétudes de son coeur souffrant. Qui ne pense pas au De Profundis, en lisant les vers suivants:

"Je viens vers vous, du fond de mon iniquité,

Je viens vers vous, Seigneur, à qui les enfants parlent...

L'immémorial fait de péchés le fardeau

De luxure et orgueil creuse mes reins qui saignent."

                                                                       (VALLERY-RADOT, p.266)

 

            Citons encore pour compléter notre liste les noms de PAUL BONTE (51), de GERMAIN NOUVEAU (52) et de THOMAS BRAUN. Celui-ci pourrait être nommé le "poète du Rituel", parce qu'il nous décrit en des vers souples des scènes de la vie quotidienne éclairées et sanctifiées par la poésie du Rituel. Nous trouvons ainsi dans Anthologie de R. VALLERY-RADOT les poèmes suivants : la Bénédiction de l'Anneau nuptial, la Bénédiction de la Maison, la Bénédiction du Pain, la Bénédiction du Vin... A la tête de chacun d'eux est placé comme épigraphe un verset liturgique.

 

            V - De même, les écrivains belges n'ont pu échapper à l'empire du renouveau liturgique. Contentons nous d'en citer quelques uns: VICTOR KINON, "collaborateur du Spectateur catholique se fit ...remarquer... par son admiration pour la mystique et la Liturgie. Ses Chansons du petit pèlerin à Notre-dame de Montaigu sont souvent inspirées par les psaumes et les hymnes de l'Eglise." (WALCH, supplément de 1919, p.482-483). Voici quelques vers de ce tendre poète qui nous rappelle les peintres primitifs de la Flandre :

 

"Maintenant c'est Magnificat et joie en pleurs

Et tous les anges font musique dans mon coeur

............................................................

 

Ma bonne Dame en or, ma Douce Dame en or,

Je vous offre mon coeur et puis mon coeur encor,

Et voici que l'enfantelet, si frêle et rose,

Sourit, comme pour approuver toutes ces choses

 

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Or enfin, concédez pour dernière faveur

Une chapelle avec des lilas dans mon coeur ;

Une chapelle en mois de mai vous dédiée

Une chapelle toute tiède et parfumée,

 

Où brûleront des cierges roses nuit et jour,

Ma douce Dame en or qui souriez toujours."

                                    (VALLERY-RADOT, p.302-303)

 

            Nous y ajoutons encore les noms de PIERRE NOTHOMB (53),   RODENBACH (54) et EMILE VERHAEREN (55) sans nous arrêter aux motifs liturgiques qu'on rencontre de temps à autre dans leurs oeuvres.