DANS LE GIRON DE LA SAINTE LITURGIE

   (Récit d’un voyage à l’Abbaye trappiste de Notre-Dame de la Délivrance à Brestanica en Slovénie. Cette Abbaye fermée en 1946 était installée dans le vieux château fort de Rajhenburg. C’est un énorme donjon perché sur un piton dominant une boucle de la Save. C’est un site assez particulier pour une abbaye, et quand on l’a visité, on comprend mieux certaines expressions d’Ivan.

   De même le nom de l’Abbaye, est Notre-Dame de la Délivrance et cela signifie qu’au-dessus de l’autel était placée une statue de la Vierge délivrant des âmes du purgatoire, symbolisées par une femme que la Vierge tire des flammes. Note du traducteur).

« Voilà le lieu de mon repos pour les siècles des siècles,

j’habiterai là, car c’est celui que j’ai choisi »

(Psaume 131)

En route.

Ma couche est en flamme  – j’y pensai selon la recommandation de Sainte Thérèse …je bondis précipitamment sur mes pieds, je rends grâce au Créateur, je me livre dans les bras du célébré d’aujourd’hui, Saint Jean l’Evangéliste qui me reçoit et par une vibrante envolée m’emporte vers le cœur de Dieu sans mesure. Entre-temps je me suis déjà débarbouillé, j’ai tourné la clé dans la serrure de la grande porte de la maison  et – l’air frais et l’obscurité saississent  tout mon être.

   Je me dépêche à travers l’obscurité vers la gare « Južni kolodvor ». Les pensées sur le vol aquilain de Saint Jean s’évanouissent de mon âme et le mystère de la nuit commence à agir sur mon âme reposée. Et plus vite je me dépêche dans l’obscurité, plus claire et sans le vouloir  m’apparaît l’image du Maître, qui s’élevait la nuit bien au-dessus des montagnes et des vallées, au travers des villes et des forêts tandis que les autres gens se reposaient. Alors il a pensé au salut de son misérable troupeau qu’il est venu racheter . Ainsi faisaient aussi les disciples et les Apôtres : Eux aussi passaient des nuits blanches entières, priant le Créateur infini, le Commandant suprême des millions d’étoiles qui clignotent dans le ciel, le Législateur du cosmos, qui maintient le soleil et qui conduit vers son but final la plus petite herbe comme chaque être particulier. Et le secret de la nuit m’occupait de plus en plusdans le mouvement du cosmos je sentis le pouls de Celui, qui était au commencement, qui est maintenant et qui règnera dans les siècles des siècles.

   Et les apôtres, et les martyrs, et les moines et les confesseurs, et les vierges et toutes les saintes femmes et tous les héros de l’humanité, tous ceux-là qui, par le passé, ont vécu des nuits blanches dans la prière ou qui ont attendu dans les nuits apaisantes étoilées d’être conduits devant les bourreaux – tous ceux-là, et avec parmi eux une foule de milliers de martyrs croates – tous ont ressenti le battement des pulsations de la nuit, la mystérieuse omniprésence de Dieu…

   Dans ces pensées et sentiments j’arrivai à la gare. Déjà quelques élèves congréganistes étaient présents et tous étaient dans la paix ; comme si le mystère et la majesté de la nuit infinie avait travaillé leur jeune âme à eux aussi.

   A peine le chemin de fer s’est-il mis en route et que son rythme saccadé avait commencé à interrompre dans nos âmes la régularité des mouvements cosmiques, nous nous ajustions à ce travail. Et tandis que défilaient les villages et les villes, dans le lointain apparaissaient les petites églises et les usines, pleins d’un espoir incertain et de  nostalgie nous avons commencé à songer aux aventures qui nous attendaient à Rajhenburg. Nous voyageons vers le monastère trappiste afin de visiter la Parole de Dieu incarnée.  Notre Seigneur Jésus Christ, qui habite làbas et qui parle aux croyants d’une manière particulièrement chère et douce  au travers de la sainte liturgie.

   Déjà nous nous réjouissions à l’idée d’être attentifs au chant choral des moines Trappistes par lequel l’Epoux parle aux âmes humaines d’une manière particulièrement amoureuse et ravissante ; nous exultions de joie, du fait que nous, les êtres raisonnables rendions, dans les diverses heures du jour, au nom de la nature sans raison – au nom des étoiles et du soleil, au nom de la glace et de la neige, au nom des chaleurs torrides équatoriales et des barres de fer des hauts-fourneaux, au nom de la neuvième heure où est descendu le Saint-Esprit sur la terre, et au nom de la douzième heure, quand Jésus a été écartelé sur la Croix pour nous … au nom de tous les être non raisonnables et  en notre nom propre,  nous allons rendre au Dieu Créateur, honneur, louange et gloire.

   Le train s’arrête. Nous sautons rapidement et nous commençons à escalader les blancs zigzags vers le château fort des chevaliers de Marie. Déjà de loin, nous aperçûmes deux moines en blanc.

Ce sont les Révérends Pères Abbé et Prieur. (Le Père Abbé est Dom Placide EPALL) Après un cordial salut ils nous conduisirent au porche. Au-dessus de la porte principale se tient une statue de la Bienheureuse Vierge Marie. Oui, voilà les enfants de Marie, les congrégationistes, et cette infanterie de Marie est venue rencontrer la rude artillerie mariale.  Marie est notre Reine ; elle est notre tour de David invincible, sur laquelle pendent mille boucliers (Cant. 4,4) ; Ce furent mes pensées qui m’ont préoccupé au début. Nous sommes passés par ce porche et nous avons lu ces inscriptions : « Bernarde ad quid venisti » (Bernard pour qui es-tu venu ?) et « Quod incipis, perfecte incipe » (Ce que tu commences, commence le avec perfection). Dans la cour centrale de ce donjon de la Bienheureuse Vierge Marie nous voyons une grande statue de Saint Bernard, ce chevalier moyenâgeux de Marie, admirateur de la Reine des cieux. Dans la petite chapelle très pauvre, nous regardons une représentation de la crèche éclairée au-dessus de laquelle brillaient les ferventes lettres gothiques de l’Eglise : « Gloria in excelsis Deo » (Gloire à Dieu au plus haut des cieux).  

 

Tierce.

   Bientôt entrèrent les moines blancs, d’une démarche lente et digne ainsi que plusieurs de leurs « petits oblats », et ils commencèrent à prier le « Te reu » d’un petit office de la Bienheureuse Vierge Marie. Après qu’ils eurent terminé cela et les prières du « Notre Père » et du « Je vous salue Marie », l’un d’entre-eux entonna d’une voix suppliante: « Deus, in adjutorium meum intende » (Dieu, viens à mon aide). Tous ensemble chantèrent à l’unisson, en s’inclinant profondément de la partie supérieure du corps : « Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto » (et se redressant aussitôt) « sicut erat in principio et nunc et semper et in saecula saeculorum. Amen » indiquant ainsi, que le but de toute leur vie et de leurs perpétuelles prières, est l’hommage à la Très Sainte Trinité.

Puis ce fut l’office de Tierce (à 9 heures du matin) qui nous rappelle la descente de l’Esprit-Saint. Tous chantèrent à l’unisson l’hymne de Saint Ambroise « Nunc Sanctae nobis Spiritu… ». Dans ce chant on prie l’Esprit-Saint, afin que, comme le soleil, qui est déjà bien levé sur l’horizon, il enflamme notre âme de son amour, afin que nous puissions de bouche, de langue, d’esprit, par nos sens et de toutes nos forces, confesser la gloire de Dieu et en plus aimer notre prochain. 

   Après cette prière qui ordonne le rapport des âmes envers l’homme, tous se souvinrent du célébré Saint Jean l’Evangéliste et entonnèrent : « Celui-ci est le disciple qui témoigne de tout cela ». Et de quoi témoigne-t-il ? Cela, les moines l’ont déjà su dans la nuit, quand il leur a été lu aux Matines la lettre de Saint Jean dans laquelle celui-ci affirme qu’il a été avec le Verbe incarné et que pour cela  on doit  croire en lui :

   Le Psaume 119 (120) qui est dirigé contre les langues méchantes, correspond tout-à-fait à la solennité de ce jour. Saint Jean, lui-même a écrit son évangile contre les divers hérétiques, les calomniateurs, qui affirmaient que Jésus n’a pas préexisté à Marie. Saint Jean s’en est remis totalement à l’aide de Dieu. Comment était sa vie intérieure à son époque, cela est dit au Psaume 120 (121) qu’ont chanté les Trappistes : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours. Le secours me vient du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre. Qu’il ne laisse pas tes pieds faire un faux pas… Non il ne dort ni ne sommeille celui qui garde Isräel… » Et les Trappistes, eux-même doivent lutter comme à la manière du célébré , eux aussi ils attendent impatiemment le soulagement  ; toutes leurs tensions sont d’aller tous ensemble dans la cour céleste de Jérusalem. La joie envahit leur âme quand ils y pensent. Toutes ces sentiments ils les expriment par le chant : « Je me suis réjouis par ce que quelqu’un m’a dit : nous irons à la maison du Seigneur. Nos pas se sont arrêtés dans tes parvis, Jérusalem. Jérusalem, qui est construite comme une ville, dont toutes les parties se tiennent ensemble. Car là-bas sont arrivés tous les peuples, peuples du Seigneur… qu’ils rendent grâces au nom du Seigneur. »

 

Messe de Saint Jean l’Evangéliste.

   Après quelques autres prières commença la messe conventuelle solennelle. C’est d’une dignité !  Comme tout va lentement, pour que l’homme sente le battement de l’éternité ! Pourquoi se presser lorsque l’homme chante la louange de Dieu, œuvre pour laquelle il est aussi créé ? ! L’homme a atteint son but, il n’a seulement qu’à observer. Et que méditons-nous en musique, à haute voix ? « Au milieu de son Eglise il a ouvert la bouche, tous les rois, tous les siècles ont entendu son Evangile dans lequel il parle avec la sagesse et la prudence divines. » Vraiment, Saint Jean est un géant de l’esprit ; seul l’Esprit-Saint a parlé par lui et déjà sur la terre « il l’a revêtu d’un habit de gloire ». Avec extase nous devons reconnaître qu’il est « bon de rendre grâce au Seigneur », comme l’a fait Saint Jean : « et louer… le nom du Créateur. Gloire au Père… ».

   C’est pourquoi nous prions que le Seigneur éclaire son Eglise et qu’illuminée par l’enseignement du Bienheureux Saint Jean Apôtre et Evangéliste elle atteigne les biens éternels.

   Le « graduel » avec ses mélodies simples fait ressentir dans l’intelligence cette scène où le Sauveur disait à Pierre de le suivre, et à Jean qu’il attende jusqu’à ce qu’il vienne lui-même. Tout ce contenu nous l’avons seulement appris dans la lecture de l’Evangile. Et bientôt l’offertoire se met à chanter d’une pleine joie surnaturelle : « Le juste fleurira comme un palmier et se multipliera comme le cèdre qui est sur le Liban ».  Tout particulièrement avec la mélodie développée  du mot « multiplicabitur » – se multipliera – sans le vouloir, me fît penser aux Aigles Croates, qui ont tout dernièrement choisi Saint Jean pour protecteur. Vraiment,  sa famille se multipliera. Chaque Aigle doit devenir un petit Saint Jean qui l’imitera en pureté et se reposera sur le Sacré Cœur, et comme l’aigle tournoiera dans les inaccessibles hauteurs des pensées divines.

   Des autres parties de la messe je ne parlerai pas. La joie nous rassemblait, car nous avons vu une vraie messe, messe dans laquelle s’est vécu le contact avec le prêtre, qui prie et l’assemblée qui répond. Quand tous les présents sortirent, nous les avons suivis afin de parler avec les moinesLes élèves (ou les invités) ont montré le plus d’intérêt  pour leur  « discours muet », et ils voulaient apprendre le « secret » du langage des signes.

 

Sexte

Bientôt nous partîmes pour participer au chant de Sexte. C’est l’heure où le Sauveur, sous la chaleur estivale, a promis à la Samaritaine, l’eau de la vie qui coulerait en vie éternelle. La Samaritaine était une femme païenne. A midi, donc, les païens étaient invités à devenir enfants de Dieu. A cause de cela, Saint Pierre aussi a vu à midi, comme une grande nappe descendre du ciel, avec divers animaux impurs : les infidèles qui s’approprieraient le Royaume de Dieu. C’est de cela, qu’à l’heure de la prière de Sexte, l’Eglise se souvient. Les Trappistes chantaient l’hymne de Saint Ambroise « Rector potens » dans laquelle ils prient le Créateur d’éteindre le feu des querelles. Psychologiquement c’est tout à fait juste. A midi le soleil brûle si fort que la volonté humaine s’affaiblit et cède plus facilement au péché. A midi aussi l’homme est épuisé et il lui faut alors tout particulièrement l’aide de Dieu. Voici ce que clame ce chant : « O Dieu de vérité, de qui la puissance gouverne tout et qui dirige tous les temps, tu donnes au matin le charme de la lumière et à l’heure de midi son feu. Eteins le feu de la querelle, enlève toute passion nuisible ; donne la santé à nos corps et la paix véritable à nos cœurs… »

   Du travail fatigant, les moines n’ont pas perdu l’espoir en l’aide de Dieu.  C’est pourquoi ils chantent le psaume 122 : « J’ai les yeux levés vers toi qui te tiens au ciel, comme les yeux du serviteur regardent la main de son Seigneur… Ainsi nous fixons les yeux sur le Seigneur, notre Dieu… » ils se souviennent en chantant le psaume 123, que le Seigneur les a déjà délivrés… « Notre âme, comme un moineau, s’est échappée du filet du chasseur ; peut-être s’est-il déchiré, et nous sommes libres… » Ils peuvent donc être pleins de confiance. Le psaume 124 exprime ce sentiment : « Qui s’en remet au Seigneur, est comme le Mont Sion, qui est établi à Jérusalem, il ne sera jamais ébranlé ».

   Ainsi aussi était Saint Jean. « Notre Seigneur Dieu l’a nourrit du pain de l’intelligence et a étanché sa soif avec l’eau de la sagesse qui donne le salut ».

   Après le déjeuner les élèves en grégorien ont chanté le « Salve Regina ». Les Trappistes se sont réjouis quand ils ont vu un véritable intérêt pour la musique liturgique, mais cependant ils ont déclaré qu’ils chantent un « Salve Regina » plus solennel, que nous entendrons , le soir à Complies. Cependant un père qui s’occupe de la musique, en a pris deux parmi nous qu’il a conduits dans une petite pièce particulière où il nous a initiés à l’accompagnement du chant choral.

   Nous avons visité tout le monastère. Les inscriptions : « Le cloître où règne la charité est le paradis sur terre » extraits de la Sainte Ecriture, montrent clairement quel esprit de paix spirituelle élevée règne en ces solitaires et froides murailles. Du dortoir, où chaque alcôve contient une dure couche avec une croix et une icône, la vue s’étend sur la Save et les montagnes styriennes entre lesquelles elle serpente. Le lieu est vraiment merveilleux ; comme ce piton montre bien symboliquement que le Trappiste doit être hors du monde, toujours plus haut, proche du ciel.

   Puisque notre excursion avait un caractère liturgique, nous n’avons pas eu le temps de visiter  la ferme et la fabrique de chocolat. Les frères convers et les moines choristes exercent toute sorte de  travaux physiques et de cette manière ils accomplissent littéralement le principe : « prie et travaille ».

 Note : les moines choristes aussi effectuent un travail physique dans les champs pendant sicx heures (3 en hiver), et ce travail est interrompu par les offices liturgiques dans la petite église. Tous ensemble ils se lèvent à 2 heures la nuit et méditent jusqu’à 3 heures ; alors ils prient les Matines, Laudes et Prime. Puis à 4 heures il y a la sainte Messe. Les frères convers, de 3 à 4 heures, effectuent des travaux ménagers, puis ils vont à la sainte Messe et à la sainte Communion. En hiver ils chauffent seulement la salle du chapitre. Ils ne mangent jamais de viande.

 

None.

Nous avons dû nous dépêcher pour arriver à « None » et nous avons trouvé les Trappistes alors qu’ils récitaient la « petite heure ». Cette heure nous rappelle la mort du Sauveur sur la Croix. C’est l’heure où, de son Cœur Sacré, ont jailli les Sacrements , cette source de notre sanctification. Car si le soleil terrestre amorce déjà sa descente vers son coucher, nous prions le Seigneur, que le Christ, notre Soleil  spirituel, ne disparaisse jamais à l’horizon de nos âmes.

Cela nous pouvons le réaliser plus facilement en nous, car la mort du Christ, que nous rappelle cette heure, nous a libérés des chaînes du péché mortel. « Quand le Seigneur a libéré les captifs de Sion, nous étions pleinement consolés. Alors la joie emplissait notre bouche et notre langue exultait ». Puis les peuples disaient : «Le Seigneur a fait pour eux de grandes choses »… Le psaume 126, qui suit, explicite l’attestation que l’homme tout seul ne peut rien ; que les gens doivent attribuer leurs œuvres à Dieu : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, celui qui construit, c’est en vain qu’il travaille. Si le Seigneur ne garde la ville, en vain veille celui qui la garde. » C’est pourquoi l’essentiel est de toujours accomplir la volonté de Dieu. « Bienheureux sont tous ceux qui craignent le Seigneur et qui vont par ses chemins ». Puissent, les Trappistes faire cela, ils pourront espérer qu’ils auront assez de jeunesse et que l’Eglise, ce nouvel Israël, pourra s’étendre dans la paix. « Et je souhaite que tu voies les enfants de tes enfants, et la paix sur Israël ! » (Ps 127).

 

Vêpres.

 A toutes ces petites heures de prière auxquelles nous avons participé, étaient présents seulement les moines choristes et leurs petits oblats. A Vêpres, vinrent les frères convers dans leurs habits marron-foncé.

Quand ils eurent prié les parties correspondantes aux petites heures, le chant de la plus solennelle cérémonie de l’après-midi commença. L’obscurité est sur la terre et tout est dissimulé. Nous nous rappelons  ce qui s’est fait en  ces heures où le Sauveur était caché dans l’obscurité des entrailles de la Vierge. Cette obscurité aussi, nous rappelle la passion du Sauveur, qui a fait que sa gloire a été éclipsée aux yeux du monde un court instant. En cet instant nocturne le Sauveur a institué la très Sainte Eucharistie, il a été descendu de la Croix et s’est montré aux disciples à Emmaüs.

Nous pensons à tout cela à l’occasion des Vêpres. L’hymne de ce jour « Exultet coelu, laudibus » (9° siècle) rappelle à notre esprit toute la puissance et toute la gloire des Apôtres. C’est pourquoi pour finir nous prions en chantant : « Quand vient le juge, le Christ qui règne pour les siècles, qu’il nous fasse don de la joie éternelle ». Antiennes et psaumes nous parlent de la naissance du Verbe éternel : « de mon giron, avant même que Lucifer ait existé, je t’ai engendré ».

La partie la plus importante des vêpres est le chant du « Magnificat ». Comme le  matin à l’élévation, toutes les cloches sonnent, cela se passe ainsi quand on entend les premiers sons de ce chant. Comme il nous apparaît joyeusement en ces heures nocturnes !

Le Magnificat nous fait penser à l’Etoile de la Mer qui indique aux voyageurs , le chemin vers le port du salut. A cette occasion nous pensons à tous les bienfaits de Dieu, et particulièrement au rachat par lequel Dieu le Père nous a sauvés des souffrances éternelles.

Les Vêpres sont associées à la bénédiction du Saint Sacrement.

 Les Trappistes se couche déjà à sept heures du soir. A peine avons-nous pu réussir à voir la bibliothèque et c’est avec quelque nostalgie que nous avons vu la grande série Bolandiste, et beaucoup de tomes de « l’Année liturgique » de Dom Guéranger. Nous avons vu beaucoup de livres en français et nous avons été surpris d’entendre le bibliothécaire nous dire que tous les frères parlent le français. Le monastère a été fondé par des Trappistes français expulsés qui sont arrivés ici en 1880 et aujourd’hui  encore il y a parmi eux plus de Français . 

 

Complies.

Aux Complies nous nous sommes  réjouis  le plus . C’est tout à fait compréhensible! Nous voulions entendre comment les Trappistes chantent le «Salve Regina», cette perle de la musique de l’Eglise. Les moines qui prient Complies suivent le Sauveur, qui a prié sur le Mont des Oliviers et là a versé son sang pour nos péchés. Le sommeil, qui viendra bientôt, est lui-même une image de la mort. Nous devons consacrer à Dieu cette nuit et nous devons le prier de chasser le diable, qui envoie –  de préférence la nuit ses tentations, et praticulièrement pour les moines. «Frères, soyez sobres et veillez, car le Démon, votre ennemi, comme un lion rugissant rôde et cherche qui dévorer: résistez-lui plein de foi. Mais toi Seigneur, aie pitié de nous.» Et si les moines savent que la forteresse de leur monastère est entourée des ennemis de l’âme, des démons, cependant, ils mettent totalement leur confiance dans le Seigneur: «Quand je l’ai appelé, le Dieu de ma justice m’a exaucé… Je dormirai et puis je me reposerai dans la paix, car en toi seul Seigneur, d’une manière spéciale, dans l’espérance, tu m’as réconforté.» Le Psaume 90 qui suit traite de la même pensée : «Celui qui demeure à l’abri du Très Haut demeurera sous la protection du Dieu du ciel… Tu ne craindras pas les terreurs de la nuit, les flêches qui volent le jour, le mal qui rôde dans l’obscurité… Car il a commandé à ses anges; de te regarder, pour veiller sur toi, sur tous tes chemins…».  L’hymne de Saint Ambroise «Te lucis ante terminum» (Avant la fin de la lumière) concentre en elle toute cette remise  nocturne. Particulièrement cet hymne demande la protection nocturne et la garde des mauvais rêves impurs et des diverses représentations…

Un peu plus tard  se sont répandus les sons de, l’antienne  «Salve Regina». On pouvait comprendre alors toute la beauté de ces vers qui datent du XI° siècle, quand les âmes pieuses les chantent. On a l’impression que les anges tristes portent au ciel les tristes larmes du genre humain. A la fin, le cri de Saint Bernard: «O clemens, o pia, o dulcis, Virgo Maria» avec toutes ses modulations exprime toute la tristesse de l’humanité abandonnée, qui élève l’amour vers Celle qui est enveloppée du soleil, qui se tient sur la lune et est couronnée de douze étoiles.

 

Clarté intérieure:

Quand vous allez à Chartres, et que vous restez dehors à regarder la célèbre cathédrale moyenâgeuse, vous n’apercevez rien sur elle de particulier. Vous voyez des multitudes d’ogives pointues et de clochetons, des contreforts, des arcs boutants, des statues. Vous examinez attentivement les courbures de la grande rosace centrale et le verre gris, rayé de traits blanchâtres qui indiquent diverses scènes bibliques. Entrez à l’intérieur par un beau jour ensoleillé ! Oh quel émerveillement ! La face intérieure s’enflamme des couleurs rose-pourpres , bleu-foncées, jaunes, vertes. Comme si vous étiez entrés dans un kaleïdoscope – dans un royaume  d’histoires fantastiques. Qui  pourrait dire que la grande rosace, qui dehors ressemble à du verre gris rayé, jette un écheveau de reflets merveilleux de couleurs et change complètement l’immense espace de la cathédrale en un empire magique de sensations intimes ?  Qui pourrait dire que sur elle vivent des scènes angéliques qui avec leurs ardentes couleurs variées chantent une hymne à Dieu ? Et quand les rayons de soleil   traversent ces verres, les verres se mettent à vivre et leurs couleurs féériques peignent en douceur tout l’intérieur de la cathédrale… Et quand un pauvre sans foi vient dans un monastère de moines Trappistes, cela lui semble comme s’il était venu devant la cathédrale de pierres sans couleur. Peut-être admirera-t’il l’organisation de cet Ordre, toutes les ogives et les clochetons de leur vie, toutes les bricoles de leur emploi du temps, mais assurément il ne pourra pas comprendre cela, pourquoi des hommes sensés peuvent embrasser une telle vie. Il ne pourra pas comprendre cela car il regarde tout du dehors  Qu’il entre dans la cathédrale de leur âme où couve la flamme éternelle du Saint Esprit et que le soleil de la Grâce  sanctifiante éclaire, et il ne pourra pas  assez s’émerveiller au magique éclat et à la beauté qui se révélera. Et pour nous, catholiques vivants dans le monde, la sainte liturgie est l’ouverture par laquelle nous pouvons jeter un regard sur ce sanctuaire 

   Vraiment, l’homme qui n’a pas l’esprit catholique, s’il vient dans un monastère trappiste, voit tout ce qui est difficile et retranché : les pièces glacées, les coucher sur la dure, le lever de nuit à 2 heures, la nourriture sans viande, les jeûnes, le silence perpétuel, la monotone et fréquente prière, les inscriptions qui rappellent la mort, l’éternité, les âmes qui souffrent au purgatoire et autres choses semblables. Chateaubriand lui-même frissonnait quand il pensait aux Trappistes

De tout autres sentiments envahissent la nouvelle génération catholique quand elle entre dans ces murailles silencieuses. Sans le vouloir, les mélodies du Psaume 41 provoquent en elle un frémissement de l’âme : « j’entrerai au merveilleux lieu de mon repos, tout entier, jusqu’à la demeure de Dieu »,  ou bien les répons liturgiques : « Voici la demeure de Dieu, fort solidement bâtie et bien fondée sur le roc inébranlable ».

A vrai dire, quand nous savons que c’est en cela que  consiste la vie intérieure du Trappiste, alors nous oublions assez facilement toutes les difficultés physiques qui nous remplissent beaucoup d’effroi. Tout leur travail, tous leurs sacrifices sont au service du désir de devenir le plus possible les  meilleurs collaborateurs à la vie Divine. Tous les moines choristes viennent aux heures fixées de jour comme de nuit, et chantent l’office divin. Quand nous écoutons ces merveilleuses mélodies et que nous essayons de comprendre et de saisir le sens des textes, alors là, de suite, on peut comprendre le bonheur de ces gens qui ont abandonné les joies éphémères de ce monde et déjà sur la terre ont commencé à chanter les louanges de la Trinité, non pas en attendant pour cela l’heure de la mort comme on a l’habitude de le faire dans le monde. Et si, pour des élèves qui ont assisté à Tierce, à la messe conventuelle, à Sexte, None, Vêpres et Complies, on a expliqué la signification de chacun des éléments, cependant ils n’ont pu de suite que seulement pressentir la beauté de la liturgie solennelle. A la prochaine excursion liturgique il nous faudra préparer profondément les textes liturgiques des offices auxquels on prévoit d’assister. Alors les participants ne pourront plus être seulement de simples spectateurs qui contemplent avec plus ou moins de compréhension ce que d’autres font, mais ils devront être acteurs ; ils devront par avance si bien connaître le texte lui-même, qu’ils pourront, à cette occasion, s’exercer à l’apprentissage de la musique et affermir ainsi, devant le trône du Très Haut, l’assemblée de ceux qui lui chantent la louange.

Si nous entrions dans  tous les détails de nos impressions du Rajhenburg, nous n’aurions en vérité rien fait d’autre de plus qu’une analyse précise de l’office de Saint Jean L’Evangéliste. Autrement nous n’aurions véritablement rien vécu ; nous avons insisté à cette occasion pour nous approprier les sentiments de la Sainte Eglise et nous nous sommes livrés à nous laisser toucher par ces mélodies nostalgiques qui expriment l’aspiration de l’Epouse après son Epoux divin. « Tel est la scène pour moi », témoigne l’écrivain français Léon BLOY (Le Désespéré p. 131) « le plus rafraîchissant de tous les repos. Quand un homme voit cela, il doit reconnaître que jusque-là il ne savait rien de la vie religieuse. L’homme s’étonne davantage encore de ce qu’il connaissait aussi faiblement le christianisme, et que jusqu’à ce moment-là il ne connaissait seulement que des œuvres littéraires indignes. Et c’est comme si  le Père des Cieux avait pris le cœur dans sa main afin qu’il fonde comme la glace dans une poêle chauffée à blanc ! Dix huit siècles de christianisme à nouveau recommencent, comme un chant inouï, comme un chant inconnu… Pour cela il suffit que l’homme se souvienne alors et que jamais il n’oublie cette nuit – car seul Dieu a parlé ».

Ce que Léon Bloy dit sur l’office nocturne dans un monastère chartreux, nous pouvons l’appliquer aussi à notre expédition à Rajhenburg.

 

 

Note du traducteur.

Les mots « svećenik», «brat» et «gimnazijalačić», qu’utilise Ivan Merz sans connaître tout le vocabulaire des moines trappistes ont été traduits respectivement par « moine choriste », « frère convers » et « petit oblat », termes utilisés par les Trappistes pour ces mots correspondants.