Je vais tâcher, par cette courte intervention, de présenter, brièvement, le séjour d’Ivan Merz à Paris de 1920 à 1922, ainsi que les liens durables qui vont en découler.
C’est donc grâce et d’après sa riche bibliographie, de sa large correspondance développée avec ses amis et ses collaborateurs, mais surtout par l’étude de son journal intime et le témoignage de ses proches que nous pouvons retracer les événements qui se sont déroulés dans sa vie. Ces mêmes sources nous donnent la possibilité de suivre le chemin de la perfection de son âme, ainsi que sa progression intellectuelle. Dans ce processus d’élévation, la Providence inspire et guide Ivan en affinant chez lui deux sentiments : c’est d’abord une attirance envers l’art en général – plus particulièrement la littérature, puis l’amour envers sa patrie – la Croatie.
En lisant son journal relatif à sa période lycéenne, nous constatons que le jeune Ivan fait déjà la différence entre la nationalité par le sang et la nationalité par les sentiments. Bien que ses parents ne soient pas d’origine croate (son père est Allemand, sa mère Hongroise), nous observons que très tôt, chez le jeune Ivan, se développe un sentiment très fort d’appartenance au peuple croate. Les absences de sa patrie, dues à ses études (Vienne puis Paris), mais aussi à la guerre de 14-18, vont aider Ivan à amplifier et approfondir ce sentiment d’appartenance à la Croatie. Les nombreux textes qu’Ivan écrit, ainsi que sa consécration totale à l’éducation de la jeunesse croate, pour laquelle il va offrir sa vie à Dieu, nous émerveille et nous montre comment il a aimé, véritablement et profondément, sa patrie et son peuple croate.
L’origine allemande d’Ivan, ainsi que l’influence très forte de la langue et culture allemande, le milieu où évolue sa famille, sa ville natale Banja Luka, sous domination de la monarchie des Habsbourg, tout cela nous suggère que le sentiment d’attachement pour la langue allemande et sa culture aurait du être par son intensité soit égal, soit légèrement plus faible que son patriotisme croate.
Cependant nous sommes surpris que Merz, dès sa jeunesse, c’est-à-dire lors de sa première rencontre avec la langue française, ait été fortement attiré par la culture française, plus précisément par sa littérature. De sa première biographie, intitulée Le serviteur de Dieu Dr. Ivan Merz (Sluga Božji Dr. Ivan Merz), nous apprenons que Merz lycéen “aimait surtout la langue croate, française et allemande. En effet, déjà à cette époque, poursuit le Dr. Dragutin Kniwald – l’auteur de cette biographie, on remarque, chez Ivan, une forte propension pour bien apprendre le français. Dans ce but, il lit des livres, les traduits, apprends des mots nouveaux, et ceci outre ses devoirs scolaires.” D’après le témoignage de son professeur de français, Petar Skok, “Ivan, dès sa terminal au lycée, était si habile en langue française, qu’il pouvait saluer, par un discours d’accueil, monsieur Blondel, professeur de sciences politiques, en visite à Banja Luka. Le professeur, impressionné par ces paroles, s’est exprimé très élogieusement sur ce brillant élève.” Cette courte rencontre avec le professeur Blondel ne sera pas oubliée. Durant ses études à Paris, Ivan renouera et maintiendra le contact avec celui-ci.
Le séjour à Paris va donner à Merz la possibilité d’affermir cette disposition à l’égard de la culture française en l’enrichissant, l’affinant et enfin, en la couronnant par la spiritualité française .
En compagnie de deux autres étudiants – Đuro Gračanin et Josip Šćetinac, le jeune Merz va donc partir à Paris en octobre 1920, grâce aux interventions du père Vanino auprès du Comité catholique des amitiés français à l’étranger qui va accorder, parmi de nombreux postulants, une bourse à ces trois Croates, ne se doutant pas que cet acte humanitaire va participer à la formation d’un futur saint.
Leur première rencontre avec la capitale française ne pouvait se passer sans particularités. Le métro parisien laissera sur ces jeunes une impression marquante. Ils ont été aussi agréablement surpris par l’amabilité des parisiens. Il y eut, bien sûr, des expériences beaucoup moins réjouissantes, comme leur pénible recherche d’appartement pour, enfin, y parvenir en s’installant chez Madame Michaut – 1, rue Mayet, dans le 6ème arrondissement de Paris. Il s’avère que Madame Michaut est une bonne catholique voulant, de tout son cœur, remplacer la mère de ces jeunes garçons, notamment lors des fêtes de Noël et de Pâques.
Dès son arrivée à Paris, Ivan va s’inscrire à l’Université de la Sorbonne où il va fréquenter les cours d’histoire de la langue française, de la poésie française après le 17ème siècle, de la littérature contemporaine allemande, de Rabelais, de Marot. En dehors de cela il suit, à l’Institut catholique, des cours de littérature française, grec et latine. Ses cahiers littéraires, rédigés scrupuleusement avec soins, ainsi que sa riche connaissance en littérature, témoignent de la masse de travail qu’il a du accomplir pour ces études. Néanmoins, tous ces cours à la Sorbonne, à l’Institut catholique ainsi que le travail personnel ne le rassasient pas entièrement. Il voudrait connaître mieux, et au plus près, la littérature contemporaine française. Son ami, Đuro Gračanin, dans ses Souvenirs (“Moje uspomene na ličnost Dr. Ivana Merza“) nous raconte : “Ivan a réussi à pénétrer incroyablement vite les milieux intellectuels parisiens. Très rapidement, il lie connaissance avec de nombreux écrivains et penseurs”. Comme protégé des Monseigneurs Baudrillart et Beaupin (respectivement président et directeur du Comité catholique des amitiés française à l’étranger), Ivan se verra ouvrir de nombreuses portes des salons intellectuels. C’est au cours d’une de ces rencontres, suite à un échange d’idées où Ivan développera ses pensées sur la littérature et l’internationale catholique, que Mr. Bernoville, rédacteur en chef de la revue Lettres, impressionné par la connaissance de Merz sur ces sujets, lui offrira un droit d’entrée aux cours de littérature organisés par cette même revue.
Le journal d’Ivan, en date du 12 février 1921, nous parle de ces cours. Il est aussi très intéressant d’y découvrir ses pensées sur la science et l’art en général : “Ces cours préparés par la revue Lettres sont très beaux. Aujourd’hui, c’est Storez qui a parlé… il nous a tracé une image du Moyen-Age où l’art était la science et tout l’univers un chef-d’œuvre du Divin Artiste. Dans cette grandiose symphonie l’homme n’était que le mot. Les symboles et les chiffres y jouent un grand rôle. Le Moyen-Age a décoré ces symboles d’une belle logique. Les animaux et les plantes ont, dans ce système, leur signification. Il n’existe pas l’art pour l’art , car la nature et l’art sont seulement l’expression d’une idée, qui n’est pas seule et sans aucune liaison avec le restant du macrocosmos. Les communistes, par exemple (voire “Le Journal du peuple” du 28 janvier et du 7 février 1921), soulignent déjà que l’art devrait prendre un caractère social, que le libéralisme dans l’art, c’est-à-dire isolation de chaque individu particulier, est mortel pour l’art. Naturellement, ils veulent la dictature, mais leur définition de l’art se rapproche de notre point de vue. Ils condamnent, par exemple, qu’une œuvre puise se faire dans l’isolement pour ensuite se retrouver dans un musée. Ils souhaitent qu’elle soit la représentation de la vie. Le dernier pas de cette vision du Moyen-Age serait la cathédrale dans laquelle collaborent tous les arts. La cathédrale est l’abrégé du monde”.
Le professeur Drago Čepulić se rappelle d’Ivan de cette époque : “…il lisait et achetait des oeuvres d’écrivains modernes, se constituant ainsi une belle bibliothèque, parfait reflet de la France intellectuelle catholique”.
Nous pouvons citer aussi un extrait de l’article de Mgr. Beaupin, paru dans la revue Les Amitiés catholiques françaises du 15 juin 1928, c’est-à-dire un mois suivant le décès d’Ivan : “Ivan Merz était aussi familiarisé que n’importe lequel d’entre nous avec notre littérature catholique moderne, et il avait, pour l’œuvre de Paul Claudel, en particulier, une vive admiration.”
Tous ces éléments illustrent clairement à quel point Ivan était passionné par la littérature française. Ces études si profondes ne résultent pas seulement de son enrichissement culturel et intellectuel. Grâce à son talent d’écrivain, révélé dès son collège, par ce même travail, Merz développe et affine son expression, devenant un écrivain de valeur. Même, si durant ces deux ans de séjours à Paris, Ivan ne s’est occupé que de littérature, nous ne pouvons qu’être émerveillé par tant d’efforts et d’acharnement ainsi que par sa grande soif de perfection en cette matière. Notre admiration n’en a été que plus grande lorsque nous avons appris qu’Ivan avait de sérieuses difficultés avec sa vue. Il savait qu’en continuant à ce rythme de travail, la fatigue de ses yeux pourrait provoquer sa cécité.
Mais l’étude de la littérature n’était qu’une partie de son champ de travail et d’intérêt. Son séjour à Paris, Ivan l’a mis à profit pour connaître le mouvement catholique en France.
Des Souvenirs de Đuro Gračanin nous apprenons: “en peu de temps Ivan a étudié un grand nombre d’organisations catholiques…en une seule journée il pouvait contacter dix personnes.”
La première des organisations avec laquelle il va entrer en contact est déjà citée, le Comité catholique des amitiés françaises à l’étranger. Le directeur du Comité, Monseigneur Beaupin, après la mort d’Ivan, se souvient : “Durant les deux années qu’il passa en France Ivan Merz fut de toutes nos réunions et s’associa à toutes nos initiatives. Il ne se passait guère de semaines, sans qu’il nous rendît visite et vînt causer avec nous. Il se montrait avide de recueillir des renseignements sur tout ce qui touchait à l’activité catholique française, aussi bien religieuse, qu’intellectuelle ou sociale.”
De son journal, nous relevons qu’Ivan a assisté au cours de Monseigneur Beaupin sur le patronage, ce qui va lui ouvrir des horizons nouveaux dans la façon d’envisager l’action futur avec la jeunesse croate. Nous y trouvons également qu’Ivan participe au cours du chanoine Desgranges sur les écoles catholiques; qu’il était présent à Toulouse lors de la Semaine sociale organisée par des intellectuels catholiques de France et de Belgique, où se traitaient des thèmes comme l’inégalité sociale, l’organisation catholique pour les ouvriers et les paysans. Le séjour à Toulouse a été également l’occasion pour Ivan de faire la connaissance de l’école d’agronomie de Toulouse, dirigée par les Jésuites. Ce journal nous donne aussi des informations qui nous permettent de dire qu’Ivan profitait de chaque occasion pour assister aux cours concernant l’orientation sociale des ouvriers, des paysans ou sur les organisations catholiques en générale.
Ivan s’intéresse également aux questions liées à l’unité des chrétiens et à l’internationale catholique. Avec un grand intérêt il suit les cours traitants de ces questions et participe activement à toutes les discussions s’y rapportant. Il est fasciné par l’atmosphère qui règne dans les associations catholiques. A ce sujet il nous dit dans son journal du 30 janvier 1921 : “Je suis émerveillé par l’unité qui inspire les mouvements catholiques de tous les pays. La meilleure apologie de l’action divine dans l’humanité est cet esprit qui imprègne les mouvements catholiques du monde. Aucune force humaine, aucun système philosophique ne peut créer ce chef-d’œuvre; c’est l’œuvre de la Force, qui est au-dessus de nous, que nous cherchons et voulons connaître.”
De toutes les organisations française qu’Ivan a connu, celle qui lui est apparue la plus en accord par son action et son esprit est une organisation qui s’occupe des enfants et de la jeunesse catholique; elle se nommait Croisade eucharistique. Cette association qui a pris naissance de la Prière apostolique, Ivan l’a qualifia “d’œuvre majestueuse”, elle a pour devise “Sacrifice – Eucharistie – Apostolat” – devise qui va enthousiasmé Ivan au point de le voir plus tard l’introduire dans l’organisation croate Orlovi (Aigles) association où Ivan fut l’un des fondateurs et surtout son guide idéologique. C’est après la mort d’Ivan que l’organisation des Aigles fut supprimée en 1929 par la dictature du roi yougoslave. Les collaborateurs de Merz, souhaitant continuer l’action engagée, ont trouvé la possibilité de fonder une nouvelle organisation (cette fois sous protectorat de l’Eglise) en 1930, conservant la même devise et le même but sous le nom de Križari (Croisés) – le nom “križari”est donc emprunté à la Croisade eucharistique française. (Pour votre information, la Croisade eucharistique existe toujours en France sous le nom de Mouvement eucharistique des jeunes – MEJ ).
Il est ici significatif de dire que durant son séjour à Paris étudiaient seulement trois Croates à côté de 600 étudiants de la Yougoslavie, de nationalité serbe. Conscient de cela, Ivan agit, chaque fois que cela lui sera possible, comme un propagateur de la culture et de la spiritualité croate. C’est ainsi qu’il publie dans la revue Les amitiés catholiques françaises, en 1921, son article La vie et l’oeuvre d’un grand prélat Yougoslave – il s’agit de l’évêque Antun Mahnić, promoteur du mouvement catholique croate. Ivan était aussi révélateur de la situation politique et économique mais surtout divulgateur de l’état de la liberté et des droits des Croates dans le Royaume de Yougoslavie.
Grâce à sa correspondance entretenue avec ses amis et intellectuels croates, Ivan était en mesure d’informer sur des événements se produisant en Croatie, mais surtout de donner des éclaircissements sur la situation en Yougoslavie à travers des prises de paroles et matières à articles que ferons paraître La Croix, puis Libre parole qui publiera du 3 au 7 avril 1921, quatre articles du même titre : La Yougoslavie menace de dissolution par l’action maçonnique et anti-catholique, signés de Monsieur Joseph Demais, député de Paris.
La revue Le Correspondant du 25 septembre 1922, édite une étude sous-titrée Les catholiques yougoslaves et leurs présentes difficultés, écrite par Monseigneur Beaupin. C’est cette même personne qui a dit : “En même temps (qu’Ivan s’éfforçait de connaître les associations françaises), il s’appliquait à nous faire connaître et aimer son cher pays que tant d’entre nous ignoraient encore.”
Il serait très intéressant de pouvoir connaître comment Merz laïc, souvent abandonné à lui-même, par ses prédispositions dirigées vers l’art et la littérature, élevé dans un milieu libéral de vie moderne, comment le jeune Merz a réussi à parvenir jusqu’à un degré si haut de perfection chrétienne, et comment il est devenu si intimement lié, au plus profond de lui-même, à la Sainte Eglise et au Pape. Il est difficile de connaître les chemins empruntés par son âme pour atteindre cette perfection chrétienne, mais il nous semble que Paris a joué un rôle prépondérant dans ce processus.
Effectuant ses études à l’Institut catholique, Ivan était imprégné par le courant de pensée catholique français de cette époque, notament par le renouvellement liturgique.
A la lecture des œuvres des écrivains convertis, Ivan a ressenti toute la réalité de la présence du Christ dans l’Eglise romaine. En examinant, page par page, de Chateaubriand à Hello, afin d’y trouver traces ,sous ses moindres aspects, de l’intimité des auteurs avec l’Eglise et la liturgie, comme nous l’exprime Dušan Žanko, son ami et écrivain, Merz a traversé l’unique baptême avec de l’eau de beauté .
Toutes ces notions dont Ivan s’enrichie et à travers desquelles il acquière une conviction totale dans la vérité de la foi catholique, vont lui inspirer dans sa pratique religieuse quotidienne une plus grande ferveur. Bien sûr, cette évolution spirituelle ne pouvait rester caché à son entourage. Mme Michaut (chez qui il habite) et ses amis, d’un côté sont admiratifs, mais de l’autre, s’inquiètent de ne pouvoir comprendre ce comportement. La fille de Mme Michaut, dans son courrier du 15 décembre 1928 nous indique entre autres: “…il a eut une vie de saint. Les différentes peines qu’il s’infligeait : jeûnes sévères, dormir peu et à même le sol, se laver à l’eau froide…Toutes ses pénitences, mais aussi toutes ses autres activités, n’étaient destinés qu’à la gloire Divine. Avec soi il avait un comportement très dure, mais pour les autre il était d’une douceur et d’une compréhension extrème. Chaque matin, il participait à la célébration de la messe et se communiait en la Chapelle des Bénédictines, rue Monsieur, ou bien, en la Chapelle de Saint-Vincent de Paul, rue de Sèvres. Le reste de sa journée, il le consacrait au travail, ce qui ne laissait que très peu de place au repos. Comme membre de l’association de Saint-Vincent de Paul, il se souciait d’une famille pauvre, en s’occupant d’elle, par des visites fréquentes agrémentées d’aumônes extrait de ses modestes moyens. Excellent étudiant, il ne s’est jamais vanté de ses succès.”
Dans sa riche correspondance échangée avec sa mère, nous relevons une inquiétude de sa maman qui souhaite et réclame qu’Ivan “mène une vie comme les autres”. Ivan y répond en justifiant son attitude, et, à son tour, tente de convaincre ses parents de l’exactitude de son comportement afin d’obtenir, de leur part, une vraie conversion. C’est à sa chère maman qu’Ivan écrit cette phrase significative : La foi catholique est ma vocation de vie.
La vie de prière d’Ivan à Paris sera rythmée par la liturgie. Dans son journal, du 4 novembre 1921, où il décrit la prise d’habit d’une novice bénédictine, il nous dévoile, sans le vouloir, toute la beauté de son âme qui s’imprègne de plus en plus de la liturgie – en la considérant en même temps, comme vie, sacrifice et art. Nous ne citerons qu’une prhase de cette magnifique description : “elle (la novice) meurt pour le monde, elle devient une corde de crin qui va éternellement chanter la gloire divine, elle va se consumer comme une flamme et entrera, en vierge sage, avec sa lampe allumée dans le palais de son époux céleste”. Ivan ne nous a pas indiqué le nom de cette religieuse. Malgrès cela, nous avons eu l’agréable surprise en 1979, et après vérification, de retrouver cette sœur bénédictine, qui se nommait Marie-Denise Chevillotte, dans l’Abbaye Saint-Louis du Temple, à Vauhallan. Celle-ci (décédée en 1991) nous a confirmé que sa vie religieuse s’est déroullée exactement comme Ivan l’a prévu dans sa description.
La piété d’Ivan envers la bienheureuse Vierge Marie s’est parachevée également durant ce séjour en France. Lourdes y a contribué grandement. Sa première visite en ce lieu saint, en été 1921, va lui laisser une forte impression, le confirmant totalement dans la vérité de sa foi catholique. Dans une lettre, se confiant à son ami l’ingénieur Marošević, il nous dit : “Lourdes a donné à ma foi rationnelle une dimension sentimentale”. A Lourdes, il a également assisté à la présentation du bureau médicale pour la constatation des guérisons miraculeuses. Là, il va se persuader de la sincérité du jugement et du travail méticuleux accompli par ces médecins, d’où la révolte d’Ivan à la lecture de Lourdes de Zola, qui falsifie la vérité sur la guérison de Melle Lebranche devenue Grivotte dans ce roman. Il va donc, concernant cette affaire, rédiger et publier en 1923 (à Zagreb) une étude littéraire et historique de l’attitude de Zola sur ce scandale. Dans cette étude il dénonce d’abord que les faits historiques, cités par Zola, ne correspondent pas à la réalité. Puis il réfute l’attitude de Zola dans l’art. Selon Merz, un écrivain, lorsqu’il parle d’un événement historique, ne peut pas s’éloigner de la vérité. La vérité ne peut pas se dissocier de l’art.
Parler de la vie spirituelle d’Ivan sans omettre l’importance de son directeur de conscience le père Pressoir (supérieur du séminaire interne de l’Institut catholique) serait un manquement. Selon son ami Gračanin qui a eu le même confesseur que Merz, c’est le père Pressoir qui a introduit “dans l’âme harmonieuse imprégnée de Dieu, cette force d’acier et cette persévérance qui ne recule devant aucune difficulté lorsqu’il s’agit de l’affaire de Dieu. Cette force et cette persévérance sont devenues les plus grandes qualités de Ivan”.
Tous ces points, même s’ils sont incomplets ou raccourcis, nous démontrent que le séjour à Paris n’a pas seulement enrichi intellectuellement Merz, mais a contribué beaucoup plus à sa grandeur spirituelle. Le dr. Kniewald dans sa biographie sur Ivan Merz constate qu’Ivan est venu à Paris bon chrétien, et repart pour Zagreb Homo catholicus.
De retour à Zagreb en l’été 1922, Ivan obtient un poste de professeur de français et d’allemand au Lycée archiepiscopal de Zagreb.
Ses larges horizons culturels et religieux, sa facilité d’expression et son style raffiné, sa riche érudition acquit à Paris et l’abondante matière littéraire ramenée avec soi, lui donne la possibilité de rédiger, en un an seulement, sa thèse L’influence de la liturgie sur les écrivains français de Chateaubriand à nos jours avec laquelle il obtiendra son doctorat en philosophie à l’Université de Zagreb, en 1923.
Le départ de Paris et la fin de ses études ne signifient pas une coupure avec la France. En effet, il conserve des liens grâce à une correspondance importante, qui l’informe au plus près des événements qui se déroulent en France, et suit les nouvelles éditions en littérature. Il lit régulièrement la presse française : La Croix, Revue des jeunes, Revue liturgique, Le Noël.
Une fois encore, dans sa très courte vie, en été 1924, Ivan va retourner en France, d’abord à Lourdes. Suite à ce pèlerinage, il va à Paris retrouver ses amis, pour ensuite faire un détours à Argent afin de répondre à l’invitation de la contesse Marguerite de Montbel, issue d’une vieille famille monarchique.
Il est très intéressant de vous donner son avis sur la noblesse française. A travers cette famille, il nous montre l’incohérence qui existe dans la noblesse française, qui est, d’un côté très attaché à l’Eglise catholique, mais de l’autre, son comportement ne correspond pas à cette foi qu’elle confesse. De cette découverte Ivan crée son opinion sur la Révolution française : “En regardant tout cela (le mode de vie de cette famille), j’ai compris la révolution française qui a confondu la noblesse et le clergé et en même temps anéantit l’un et l’autre….Je comprends l’anticléricalisme du peuple français qui identifie la réhabilitation de l’Eglise avec celle de la noblesse….Dieu accepte la révolution afin d’établir de cette manière le royaume social entre les gens.”
Tout ces liens qu’Ivan entretient avec la France vont l’aider à publier en Croatie plusieurs études et brochures concernant la France, comme : Les évêques et les élections en France, l’Apostolat de nos frères Belges, La liturgie de saint-François de Salle, La mort héroïque de Sainte-Jeanne-d’Arc, Les miracles récents de Lourdes, puis déjà évoqué Lourdes par Zola. Ivan va également trouver le temps et les moyens de collaborer avec la presse française. Ainsi en 1924, la revue Cahiers catholiques publie La liturgie catholique dans l’œuvre d’Emile Baumann et Les amités catholiques françaises éditera La liturgie catholique dans l’œuvre de Paul Claudel.
Comme professeur, tout en apprenant la langue française à ses élèves, futurs prêtres, Ivan va s’efforcer de leurs transmettre la richesse de la culture et de la spiritualité française. De tout cela témoigneront ces nombreux élèves ainsi que monsieur Boissier, consul de France à Zagreb, qui a plusieurs fois visité ses classes, s’est exprimé très élogieusement sur Ivan.
Pour dire à quel point Ivan Merz était respecté et admiré comme professeur de français, mais également comme promoteur de la culture française, le Comité catholique des amitiés françaises , en accord avec l’Institut français de Zagreb, a eut l’intention de fonder, pour le meilleur élève des cours de français du Lycée archiépiscopal de Zagreb, un prix “Ivan Merz”. A ce jour, nous ne sommes pas en mesure de vous dire si ce prix à déjà été attribué. Malgrès cela, il nous semble que l’idée mérite d’être retenue et réactualisée.
Suite à ce bref aperçu de ce que fût la présence d’Ivan en France, s’impose le constat qu’Ivan, dans sa croissance culturelle et spirituelle, à Paris puis à Zagreb, devient un pont qui a essayé, et réussi, à rapprocher deux pays, deux peuples en les enrichissants mutuellement d’un apport culturel et spirituel, apport d’une valeur inestimable.
Cependant, dans l’évaluation de la personne d’Ivan Merz, soyons prudent. Car, s’il était seulement un bon professeur, un écrivain de talent, un grand organisateur et travailleur social, mais aussi un lien entre deux pays, la Croatie et la France auront eut certainement de grandes raisons de se le rappeler avec respects et remerciements, mais, certainement pas avec cette nuance particulière d’admiration à laquelle n’ont pas le droit tous les héros de la plume et d’organisation, et peuvent l’obtenir, seulement ceux qui ont basé toute leur action dans l’ordre de l’amour.
C’est pour cette raison que cet exposé se terminera en empruntant la dernière phrase avec laquelle La Croix termine son article posthume : Ivan Merz est mort comme un Saint après avoir vécu comme un Saint.