SECONDE PARTIE

 

LES ECRIVAINS ANTILITURGIQUES

 

CHAPITRE   I

 

INTRODUCTION

 

 

            I - La décadence liturgique au XVIIIème siècle a trouvé son écho fidèle dans les oeuvres des représentants les plus en vue de cette époque là. Un grand nombre d'entre eux se déclare ouvertement adversaire de la Liturgie. Succédanés grotesques de la Liturgie; les concerts spirituels.

            II - ROUSSEAU possède des notions sur la technique du plain-chant. Il compose des motets pour les concerts spirituels. Il devient dans la suite un adversaire conscient du culte catholique parce que l'auteur du Contrat social déclare qu'il faut s'adresser à Dieu individuellement et sans intermédiaire.

 

            I - CHATEAUBRIAND tout en indiquant avec son Génie du Christianisme le chemin qu'allait prendre une partie de la littérature française, les tendances du siècle précédant n'en survivaient pas moins. Bien que les chapitres sur la beauté du culte dans Le Génie fussent la première protestation contre l'individualisme religieux, l'influence de ROUSSEAU et du XVIIIème siècle tout entier se faisait sentir à travers tout le XIXème siècle et elle n'a pas perdu encore de nos jours toute son efficacité. Abstraction faite même de la signification philosophique des textes liturgiques, les écrivains du siècle de VOLTAIRE n'avaient aucun sens pour les splendeurs artistiques des cérémonies du culte. C'est ainsi que pour les philosophes la psalmodie n'était que synonyme de "stupide" ou "d' ennuyeux". Le clergé lui - même avait perdu tout intérêt pour les offices traditionnels et ne comprenait plus rien à l'esthétique religieuse. Les églises étaient transformées en salles de spectacles où l'on donnait des "concerts spirituels" pour lesquels les compositeurs - souvent des incroyants! - avaient composé des motets ou d'autres pièces religieuses. L'on fréquentait l'église comme on avait assisté à une représentation d'un opéra galant à Versailles ou à Fontainebleau. Ces épaves de la Liturgie ne témoignaient qu'une fois de plus de cette décadence sociale dans laquelle sombrait le XVIIIème siècle. La Liturgie qui avait lié au Moyen Age toutes les classes du peuple d'un même lien social n'est devenu à l'époque des VOLTAIRE et des ROUSSEAU qu'un piment de délectation artistique.

 

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            Rien d'étonnant que nous rencontrions à son égard des notions inexactes le long du XVIIIème siècle en sorte que quelques littérateurs se déclarèrent ses ennemis les plus acharnés.

            Pour avoir l'intelligence plus complète du courant antiliturgique dans la littérature française de CHATEAUBRIAND à nos jours, nous devons analyser du moins rapidement les conceptions liturgiques de J.J. ROUSSEAU (1712-1778).

 

            II - Il est extrêmement intéressant de poursuivre son évolution liturgique dans ses oeuvres telles que les Confessions, l'Emile et la Nouvelle Héloïse. En voilà les faits les plus marquants:  la psalmodie dont il avait fait connaissance étant encore enfant le dégoûtait fortement. A Turin, pendant son séjour dans la maison des Catéchumènes, il fut parmi les principaux acteurs de la Liturgie à l'occasion d'une cérémonie d'un baptême solennel. ROUSSEAU s'en moque hargneusement dans les Confessions (II, p.58-59). La musique religieuse l'intéressait profondément. Revenu à Annecy, il entra dans une maîtrise, et y apprit à connaître une société qui sombrait dans la décadence absolue pour ce qui est des conceptions justes sur la Liturgie (ibid, III, p.100-108). Quelque temps après, saisi par la vie de société de son époque, il fit de la musique religieuse et subit ainsi l'empire de la suggestion des masses (ibid., p.411-412).

            Quoique bien au courant de la technique du plain-chant - n'était-ce pas ROUSSEAU qui avait écrit pour l'Encyclopédie le chapitre sur la musique ? - il n'était pas le moins du monde au courant de la signification essentielle du culte catholique. La Profession de Foi du Vicaire Savoyard est le témoignage le plus flagrant de l'incertitude liturgique de Jean-Jacques:

            "... Je suis avec soin tous les rites, je m'applique à n'omettre jamais ni le moindre mot, ni la moindre cérémonie...". Et pourtant le même vicaire ne croit pas à la vérité des paroles qu'il récite. Nous trouvons cependant dans la Nouvelle Héloïse (p. 542-543) un passage qui trahit avec une évidence incontestable toute la conception liturgique de ROUSSEAU:

            "Il vit que tout y consistait" (à savoir chez les catholiques) “en vaines simagrées plâtrées un peu plus subtilement par des mots qui ne signifiaient rien.... Un culte plus sensible repose l'esprit du peuple : il aime qu'on lui offre des objets de piété qui le dispensent de penser à Dieu" (p.542-544).

            Cette antipathie pour le culte catholique s'est accentuée souvent au point d'atteindre la note d'une haine acérée. La touchante cérémonie de l'Extrême onction qui a tiré à Jocelyn des larmes abondantes et qui a vivement intéressé même l'impassibilité artistique d'un FLAUBERT n'est à son sens qu'une chose apte à inspirer l'horreur la plus dégoûtante.

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            "Un catholique mourant n'est environné que d'objets qui l'épouvantent, et des cérémonies qui l'enterrent tout vivant. Au soin qu'on prend d'écarter de lui les démons, il croit en voir la chambre pleine; il meurt cent fois de terreur avant qu'on l'achève, et c'est dans cet état d'effroi que l'église aime à le plonger, pour avoir meilleur marché de sa bourse" (ibid., p.664).

            Cet esprit antiliturgique du XVIIIème siècle constitue la note dominante d'un petit nombre d'écrivains dont nous allons nous entretenir dès à présent. En montrant la seconde face du sujet que cette étude s'est proposée d'embrasser, elle nous aidera à en mieux comprendre toute la complexité.