CHAPITRE IV

 

CYCLE DES ROMANCIERS CONTEMPORAINS

 

 

            I - Les exemples tirés des oeuvres de H. BORDEAUX et de RENE BAZIN ont pour but de montrer qu'il existe encore une foule innombrable d'écrivains plus ou moins significatifs au point de vue liturgique, sans que nous puissions les mentionner tous.

            II - H. BORDEAUX montre quelle place importante la Liturgie occupe dans le vie de l'enfant français.

            III - Le même témoignage de R.BAZIN.

            IV - La description d'une Extrême Onction de H. BORDEAUX est plus exacte que celle qui se trouve dans Madame Bovary. Cette différence est un document très significatif pour l'importance de la Liturgie dans la vie contemporaine.

            V - L'éminent romancier de la famille française constate que les cérémonies religieuses allument dans les campagnes françaises une émulation esthétique très salutaire.

            VI - Conclusion.

 

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            I - La foule de romanciers dits "Indifférents" où l'on puisse trouver des allusions liturgiques est innombrable. Ce serait une prétention trop hardie de vouloir les enregistrer tous. Il ne se passe d'ailleurs presqu'aucun jour sans qu'un roman de valeur ne paraisse auquel il ne faudrait assigner une place dans notre étude.(a) Nous n'analyserons à titre de documents que quelques éléments des conceptions liturgiques de H. BORDEAUX et de R. BAZIN. Les exemples extraits de ces deux écrivains prouveront une fois de plus que l'influence de la Liturgie sur la vie française est restée encore aujourd'hui d'une importance capitale.

 

            II - Le passage extrait du roman La Maison (1913) de H. BORDEAUX transcrit ci-dessous, nous en fournit une preuve irréfutable:

 

(a) P.e. Le roman Marie Chapdelaine de L.HEMON (500.000 vendus).

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            "A la même époque le chant de mes camarades, au collège, acheva de me bouleverser. Ce fut une cérémonie de première communion" (p.25).

            L'éminent romancier de la famille française constate donc que la Liturgie occupe une place considérable dans la vie de l'enfant français. Il signale en effet le même fait déjà relevé dans notre étude à propos du Témoignage d'un Converti de H. GHEON. Citons encore quelques lignes pour donner plus de vigueur persuasive à nos assertions. L'humour naïf dont celles-là sont assaisonnées ajoutent au surplus, comme nous allons le voir, à leur beauté pénétrante:

            "Je n'ai jamais su quelle sorte de Vêpres ni de complies nous disions" (étant encore enfants) "devant l'armoire. Les cérémonies consistaient en cantiques vociférés en choeur. Mélanie surtout lançait éperdument ses notes sur le diapason le plus élevé. Sa piété était en raison du bruit qu'elle faisait. La salle de musique était merveilleusement proche de la chambre du grand-père" (p.39).

 

            III - RENE BAZIN qui raconte dans Bonne Perette "la grandeur et la décadence d'une voie d'enfant de choeur" indique au surplus d'une manière très charmante la valeur éducative de la Liturgie, en sorte que les enfants de certaines familles mettent toutes leur joie naïve pour contribuer à ce que les offices deviennent le plus attrayant et le plus beau possible :

            "Le triomphe du petit Chantre, c'était l'Alleluia du Samedi Saint. Ce jour-là le chant de la résurrection s'élève à l'heure des Vêpres, et le monde s'endort, bercé dans la joie du lendemain.

Beaucoup de monde, ceux qui avaient souffert, prié, jeûné avec l'Eglise en deuil, d'autres même que la quarantaine sainte n'avait point assombri, s'assemblaient pour écouter l'hymne de la vie nouvelle. Ils se mouvaient vaguement dans la nef obscurcie par le soir... Des cierges sur l'autel faisaient une broderie d'étincelles toutes menues. Enfin, tandis que de grosses voies de basse achevaient les complies, une petite lumière partait du fond des stalles et traversait le choeur... Il y avait un moment de silence imposant . Puis trois alléluias légers comme des oiseaux qui planent passaient au-dessus de l'assemblée. Désiré les lançait timidement. On eût dit les premières colombes de l'Arche, aventurées, tremblantes. Alors commençaient l'hymne et sa voie se raffermit...”(66).

 

            IV - Aussi H.BORDEAUX constate-t-il sans vouloir s'ériger en apologiste et à l'instar de son éminent collègue dont nous venons de parler, que les textes liturgiques fournissent au peuple français à la fois une doctrine solide et lui révèlent le sens philosophique de l'existence humaine. L'intérêt pour la Liturgie de cet académicien paraît donc être aussi vif que celui des BOURGET ou de BAZIN. Quant à ses connaissances, elles l'emportent sur celles de FLAUBERT lui-même.Comparons pour nous en persuader la description de l'Extrême Onction à celle que nous avons transcrite à propos de Madame Bovary :

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            " Le prêtre vint en surplis précédé de son clerc et nullement étonné de trouver sa paroissienne en présence des animaux. Il prit les saintes espèces, prononça les paroles sacramentelles, et, s'approchant du lit, il déposa l'hostie sur les lèvres de la mourante ... Les saintes huiles furent appliquées en forme de croix sur ses yeux, ses oreilles, ses narines, sur sa bouche si mince qu'elle n'offrait qu'une ligne exangue, sur ses mains toutes gercées et usées par le travail manuel, sur ses pieds ... Par cette onction, ses fautes domestiques étaient réparées." ( La maison morte, I, 92; p.86-88 ).

 

            En dehors de l'onction de l'oreille oubliée par FLAUBERT, toute la conception de ce passage nous montre qu'une révolution s'était produite au point de vue liturgique même parmi les écrvains dits " Indifférents ". Tandis que FLAUBERT éprouve le besoin de se renseigner dans un manuel à propos de cette cérémonie - l'expérience religieuse lui étant devenue étrangère - , l'écrivain moderne la compose tout spontanément parce que la vie religieuse lui est familière et accessible à cause de l'évolution qui s'était effectuée en France depuis la parution du Disciple (1889 ) de PAUL BOURGET.

 

            V - Pour ce qui est de la description de belles cérémonies religieuses, il faut ranger H.BORDEAUX tout à côté des BALZAC, MISTRAL, BAUMANN, et de tant d'autres écrivains qui ont signalé à plusieurs reprises que la population des campagnes françaises s'évertue, pour exprimer ses aspirations esthétiques, à rendre les manifestations du culte les plus belles possibles:

            "La fête Dieu se célébrait dans notre ville avec une pompe et un éclat incomparables. On venait de loin pour y assister. ... La rivalité des reposoirs divisait les quartiers, chacun luttait pour sa bonne renomée." ( La maison p.39-42).

 

            VI - Les exemples que nous venons de donner ont eu pour but de montrer qu'il existe en dehors des écrivains analysés dans notre étude une foule innombrable d'écrivains d'une importance plus ou moins grande qui pourrait fournir à l'historien de la liturgie une quantité de documents importants. Il ne nous reste à présent que de voir si l'on peut trouver les mêmes faits parmi les _uvres des poètes lyriques que nous avons surnommés les "Indifférents".