CHAPITRE II

 

REACTION CONTRE LE XVIIIème siècle

CHATEAUBRIAND (1768-1848)

 

 

         I - R. CHATEAUBRIAND réhabilite le culte dans l'opinion publique. Ses démonstrations ne sont pas scientifiques.

         II - Il explique les cérémonies les plus connues et paraît ainsi protester contre l'esprit antiliturgique des adhérents de ROUSSEAU.

         III - Ses connaissances liturgiques sont superficielles.

         IV - Il se sert de la Liturgie pour en tirer des effets à la fois sentimentaux et romanesques et non pas pour transformer sa propre vie morale.

         V - Aussi a-t-il a efficacement réagi contre la "peste antiliturgique".

         VI - Un de ses mérites est d'avoir montré l'accord qui existe entre la nature et les cérémonies religieuses. Ses déductions logiques ne sont pas très exactes.

         VII - Les cérémonies liturgiques expriment souvent l'enthousiasme national des Français.

         VIII - Conclusion.

 

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         I - Nous l'avons déjà mentionné, c'est CHATEAUBRIAND qui a le mérite d'avoir réhabilité le culte catholique dans l'opinion des lettrés. Les douze chapitres (4e partie, 1er livre) du Génie du Christianisme consacrés au culte constituent une analyse à la fois esthétique et doctrinale. Mais, si les preuves que CHATEAUBRIAND apportait à la démonstration de l'excellence de l'esthétique chrétienne pouvaient avoir une valeur apologétique à son époque, elles ont perdu aujourd'hui beaucoup de leur solidité. Le système de son apologétique est loin d'être scientifique. Il organise son travail de manière à mieux expliquer aux hommes de son époque les cérémonies les plus connues. Nous ne nous étonnons donc pas de

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trouver tout au commencement de ses explications un chapitre intitulé "les Cloches" (IV,I,1 p.370). Il y parle à sa manière de la poésie du texte liturgique dont on se sert à l'occasion de la bénédiction des cloches. (a)

         “C’était d'abord, ce nous semble, une chose assez merveilleuse d'avoir trouvé le moyen, par un seul coup de marteau, de faire naître, à la même minute, un même sentiment dans mille coeurs divers et d'avoir forcé les vents et les nuages à se charger des pensées des hommes. Ensuite, considérée comme harmonie, la cloche a indubitablement une beauté de la première sorte..." (p.370).

         Les sons nocturnes surprennent souvent "l'oreille d'une épouse adultère" ou "l'athée, qui, dans sa vieille impie, osait peut-être écrire qu'il n'y a point de Dieu ! La plume échappe de sa main. Il écoute avec effroi le glas de la mort qui semble lui dire: Est-ce qu'il n'y a point de Dieu ? " (p.371).

         C'est en effet très charmant et très poétique, cela fait aimer les sons des cloches, mais cependant une telle argumentation est dénuée de toute valeur apologétique. (b)

 

         II - Il suffisait à CHATEAUBRIAND qu'une habitude fut chrétienne pour qu'il s'efforçât de prouver qu'elle était bonne et pleine de poésie. Les vêtements et les ornements sacrés excitaient son admiration parce qu'ils constituaient "le seul débris de cette antiquité qui soit parvenu jusqu'à nous". Cet argument a pu servir de preuve irréfragable aux contemporains de CHATEAUBRIAND épris de cette antiquité dont l'autorité n'a pas été ébranlée par les ondes destructives de la grande Révolution. Aujourd'hui, la solidité de ces arguments ne compte plus.

         On trouve de même dans le Génie du Christianisme et ailleurs l'explication des cérémonies religieuses les plus connues du peuple : Baptême (ch.6 du II), Messe de Noces, Bénédiction nuptiale (II,I,10 p.42), Prière du soir (Martyrs, II,p.37), Prière des Agonisants, Offices de la Semaine Sainte (p.378, p.391), Commémoration de tous les défunts (p.397), Relevailles, Commination, Funérailles.

         Voici comment CHATEAUBRIAND s'exprime au sujet des deux dernières cérémonies :

         "Les oraisons des cérémonies chrétiennes relatives à des objets civils ou religieux, ou même à de simples accidents de la vie, présentent des souvenances parfaites, des sentiments élevés, de grands souvenirs en un style à la fois simple et magnifique."

Quant aux Funérailles, il prétend qu' "il y a dans cette seule cérémonie plus de beautés que dans tout ce que nous connaissons du culte des morts chez les anciens..." (p.391).

 

(a) Et cum melodia illius auribus insonuerit populorum, coexat in eis devotio fidei, procul pellantur omnes insidiae inimici, fragor grandium, procella turbium...(V. Pontificale Romanum)

(b) V.e. René, p.79

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         Il veut prouver "scientifiquement" cette affirmation en nous représentant "un prêtre...vêtu de blanc...le front chauve, la figure pâle, les yeux fermés" qui prononce "l'Oraison funèbre de la Reine de la Grande Bretagne de BOSSUET.”

         Ou bien CHATEAUBRIAND ajoute un petit croquis très joli en effet, mais dénué de toute valeur apologétique: "Le cercueil, couvert d'un drap mortuaire, se balançait comme un pavot noir au-dessus des froments d'or et des fleurs de pourpre et d'azur”(p.394).

         Les analyses répétées des Prières pour les Agonisants, des Cérémonies de l'Extrême Onction que nous trouvons parsemées dans l'oeuvre de CHATEAUBRIAND nous apparaissent aujourd'hui comme une protestation vigoureuse contre ROUSSEAU qui n'y voyait que terreur et "effroi". L'auteur du Génie les juge admirables : "Tantôt ce sont des cris de douleur, tantôt des cris d'espérance, le mort se plaint, se réjouit, tremble, se rassure, gémit et supplie." (a) C'est donc  tout le contraire de ce que prétendait ROUSSEAU.

 

         III - Tout cela nous prouve que les connaissances liturgiques de CHATEAUBRIAND étaient plus brillantes que profondes. Le culte constitue à ses yeux le côté charmant et aimable de la religion, celui qui doit être accessible à tout homme.

         "Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à revenir à lui, et ce n'est pas toujours par les sentiers rudes et sublimes de la montagne que la brebis égarée retourne au bercail." (Génie, Introduction). Quand CHATEAUBRIAND analyse la beauté de certaines cérémonies, les paroles qui lui reviennent d'habitude sous la plume semblent toujours un peu vagues et indécises.(b)

         Aussi est-il vrai qu'il sait nous faire partager en maître les impressions qu'il sentait s'éveiller en lui à l'occasion d'une belle cérémonie religieuse; mais, hélas, elles sont souvent trop superficielles pour tous ceux qui ont étudié DOM GUERANGER ou qui ont lu certaines analyses pénétrantes de HUYSMANS.

         "La plupart des psaumes sont sublimes de gravité. L'office des morts est un chef d'oeuvre, on croit entendre les sourds retentissements du tombeau... Dans l'Office de la Semaine Sainte, on remarque la passion de Saint-Mathieu. Le récitatif de l'historien, les cris de la populace juive, la noblesse des réponses de Jésus, forment un drame pathétique"(Génie, p.284).

 

         IV - Cependant, sa conception sentimentale de la Liturgie constituera à n'en pas douter un des stigmates les plus essentiels de cette première éclosion du Romantisme en France marquée par René et d'autres oeuvres semblables.

 

(a) V.e. p.44, 394-396

(b) Il dit p.e.”et ses prières, admirables, et ses superbes cérémonies”(Génie, p.10)

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         Comme la Liturgie mettra un demi-siècle plus tard dans les mains de LOUIS VEUILLOT un engin puissant pour son action politique et qu'elle donnera à FRANCOIS COPPEE une preuve de la conception démocratique du catholicisme, elle fournit à CHATEAUBRIAND les instruments aptes à montrer à la foule des Renés de son temps, que la religion catholique est la plus sentimentale qui soit au monde. En voici une preuve :

         "La nuit approchait: comme nous passions entre deux murs dans une rue déserte, tout à coup, le son d'un orgue vint frapper notre oreille, et les paroles du cantique Laudate Dominum omnes gentes, sortirent du fond d'une église voisine... Nous ne saurions peindre l'émotion que nous causèrent ces chants religieux, nous crûmes ouïr une voix du ciel..."(Génie, III,5,III).

         Ou bien :

         "Je crois encore entendre la cloche qui, pendant la nuit appelait les religieuses aux veilles et aux prières. Tandis qu'elle tintait avec lenteur et que les vierges s'avançaient en silence à l'autel du Tout-Puissant, je courais au monastère : là, seul au pied des murs, j'écoutais dans une sainte extase les derniers sons des cantiques, qui se mêlaient sous les voûtes du temple au faible bruissement des flots". (René p.98).

         HUYSMANS eût à la place de René analysé les textes des cantiques récités par les religieuses, démontré la beauté de certains endroits du plain-chant, il l'eût peut-être comparé à quelque tableau des Primitifs. Il parait certain que CHATEAUBRIAND n'ait même pas connu ces textes.

         La Liturgie est aussi à même, c'est l'avis de notre écrivain, de faire vibrer dans notre être les cordes personnelles et profondes et de nous suggérer ces sentiments d'horreur qui ont été caressés en France et à l'étranger par les écrivains romantiques. (a)

         La Cérémonie de Profession décrite dans René, comparée à celle qui est minutieusement analysée dans En Route, nous fait comprendre d'une manière parfaite l'abîme qui sépare le romantisme liturgique de CHATEAUBRIAND du réalisme de HUYSMANS. La Liturgie n'est aux yeux des romantiques, qu'un moyen efficace pour rehausser l'éclat d'une scène et pour faire briller un caractère :

         "Un peuple immense remplissait l'église. On me conduit au banc du sanctuaire; je me précipite à genoux sans presque savoir où j'étais, ni à quoi j'étais résolu. Déjà, le prêtre attendait à l'autel ; tout à coup la grille mystérieuse s'ouvre, et Amélie s'avance, parée de toutes les pompes du monde. Elle était si belle, il y avait sur son visage quelque chose de si divin, qu'elle excita un mouvement de surprise et d'admiration. Vaincu par la glorieuse douleur de la sainte, abattu par les grandeurs de la religion, tous mes projets de violence s'évanouirent, ma force m'abandonna, je me sentis lié par une main toute puissante, et, au lieu de blasphèmes et de menaces, je ne trouvai dans mon coeur que de profondes adorations et les gémissements de l'humilité.

 

(a) HUGO, Lucrèce Borgia; E.T.A. HOFFMANN etc...

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         Amélie se place sous un dais. Le sacrifice commence à la lueur des flambeaux, au milieu des fleurs et des parfums, qui devaient rendre l'holocauste agréable. A l'offertoire, le prêtre se dépouilla de ses ornements, ne conserva qu'une tunique de lin, monta en chaire, et, dans un discours simple et pathétique, peignit le bonheur de la vierge qui se consacre au Seigneur. Quand il prononça ces mots: "Elle a paru comme l'encens qui se consume dans le feu" un grand calme et des odeurs célestes semblèrent se répandre dans l'auditoire; on se sentit comme à l'abri sous les ailes de la colombe mystique, et l'on eût cru voir les anges descendre sur l'autel et remonter vers les cieux avec des parfums et des couronnes.

         Le prêtre achève son discours, reprend ses vêtements, continue le sacrifice. Amélie, soutenue de deux jeunes religieuses se met à genoux sur la dernière marche de l'autel... La religion triomphe. Ma soeur profite de mon trouble, elle avance hardiment la tête. Sa superbe chevelure tombe de toutes parts sous le fer sacré; une longue robe d'étamine remplace pour elle les ornements du siècle, sans la rendre moins touchante; les ennuis de son front se cachent sous un bandeau de lin, et le voile mystérieux, double symbole de la virginité et de la religion, accompagne sa tête dépouillée à jamais...

         Cependant, Amélie n'avait point encore prononcé ses voeux, et, pour mourir au monde il fallait qu'elle passât à travers le tombeau. Ma soeur se couche sur le marbre; on étend sur elle un drap mortuaire; quatre flambeaux en marquent les quatre coins. Le prêtre, l'étole au cou, le livre à la main, commence l'Office des morts, de jeunes vierges le continuent. O joies de la religion, que vous êtes grandes, mais que vous êtes terribles !" (René p.95-96).

         Après avoir admiré la belle description de cette touchante cérémonie religieuse, qui se serait douté qu'Amélie avouât sous le voile sépulcral que les feux d'une passion incestueuse la consumaient depuis longtemps.

         La Liturgie n'a été à cette occasion qu'un instrument romantique. "Le malheureux René n'a bien vu dans la Liturgie qu'une occasion pour son imagination de se répandre et pour son génie de s'affirmer..." constate   Mortier (a) avec justesse dans un article qui a causé un certain étonnement dans les milieux liturgiques de Paris.(b) Aussi, son affirmation que CHATEAUBRIAND était un "épicurien à l'imagination catholique" nous paraît-elle juste pour ce qui est de la Liturgie. On sent en effet chez CHATEAUBRIAND ce goût purement extérieur pour les splendeurs et les beautés du culte, tandis que les passages sont extrêmement rares où nous pourrions sentir chez lui un effort tendant à transformer - comme par

 

(a) A.MORTIER,La Liturgie dans le Roman (Revue pratique d'Apologétique, 1918,p.481-483)

(b) V. Annuaire de la Société des Amis de l'Art Liturgique, 1918, Art Catholique, p.113-114, et note 10

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exemple chez P. CLAUDEL - sa propre vie d'après la doctrine contenue dans les textes sacrés.

 

         V - Ses conceptions liturgiques pourraient être critiquées à d'autres points de vue, mais si nous nous replaçons dans son époque, nous ne pouvons nous empêcher de convenir que ses mérites sont inappréciables pour le renouveau liturgique qui s’est effectué en France. DOM GUERANGER a analysé dans les Institutions liturgiques (II,p.587) avec une perspicacité ingénieuse et une compétence indiscutable l'oeuvre de notre écrivain :

         "L'apparition du Génie du Christianisme", dit l'illustre bénédictin," véritable triomphe pour la religion, commence la réaction contre la peste antiliturgiste". Et encore: "L'auteur faisait valoir avec un talent inouï, l'harmonie des cérémonies religieuses avec les grands spectacles de la nature" (II,587).

 

         VI - Nous avons essayé de prouver dans les passages précédents la première assertion de DOM GUERANGER, à savoir que CHATEAUBRIAND a commencé cette lutte contre l'esprit antiliturgique qui devait, après des controverses très animées, ramener la France à la grande unité romaine. Force nous est maintenant d'insister quelques instants sur le second point. En effet, l'auteur d'Atala nous dit expressément que les "solennités du christianisme sont coordonnées d'une manière admirable aux scènes de la nature. La fête du Créateur arrive au moment où la terre et le ciel déclarent sa puissance, où les bois et les champs fourmillent de générations nouvelles."

         Après nous avoir donné quelques descriptions des cérémonies religieuses (Génie, Rogations, p.367) et après avoir démontré l'accord qui existe entre elles et la nature, il tâche de prouver que leur influence sur le peuple est éminemment moralisatrice: "Dans nos solennités", dit-il, "tout est essentiellement moral" (p.385).

         Cela nous amènerait trop loin si nous voulions citer tous les passages se rapportant à toutes ces assertions. Voilà encore quelques extraits:

         "L'Epiphanie réjouissait toujours les familles parce qu'elles se rassemblaient autour des gâteaux qui retraçaient les présents des Mages."

         La Liturgie exerce ensuite une influence heureuse sur l'éducation du goût esthétique du peuple. "Dans la nuit de la naissance du Messie, les troupes d'enfants qui adoraient la crèche, les églises illuminées et parées de fleurs, (a) le peuple qui se pressait autour du berceau de son Dieu, les Chrétiens qui, dans une chapelle retirée, faisaient leur paix avec le ciel, les alléluias joyeux, le bruit de l'orgue et les cloches offraient une pompe pleine d'innocence et de majesté". (b)

         Nous avons déjà cité le passage tiré de René dans lequel "les derniers sons des cantiques ... se mêlaient au faible bruissement des flots" (p.98).

 

(a) V. Sully Prudhomme, p.333

(b) V.e. l'analyse de la messe, p.381

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         Nous assistons de même dans Atala à la cérémonie de l'Extrême Onction (p.62) au milieu d'une nature sauvage et nous admirons dans la même oeuvre cette Messe pittoresque où tout concourt à rehausser l'éclat de cette admirable cérémonie religieuse (4).

         A la regarder de près, nous y trouverons tout entière la conception liturgique de CHATEAUBRIAND. Au paysagiste incomparable et brillant s'associe un apologète d'une légèreté inexcusable. Parce qu'il s'attendrissait sur la beauté d'un tel spectacle, il en conclut que le Christianisme est la seule vraie religion. C'est en effet de l'apologétique telle qu'on ne devrait jamais la faire. En voici la preuve :

         "Aussitôt le prêtre divin revêt une tunique blanche d'écorce de mûriers, les vases sacrés sont tirés d'un tabernacle au pied de la croix, l'autel se prépare sur un quartier de roche, l'eau se puise dans le torrent voisin, et une grappe de raisin sauvage fournit le vin du sacrifice. Nous nous mettons tous à genoux dans les hautes herbes; le mystère commence.

         L'aurore paraissant derrière les montagnes, enflammait l'orient. Tout était d'or ou de rose dans la solitude. L'astre annoncé par tant de splendeur sortit enfin d'un abîme de lumière, et son premier rayon rencontra l'hostie consacrée, que le prêtre, en ce moment même, élevait dans les airs. O charme de la religion! O magnificence du culte chrétien! Pour sacrificateur un vieil ermite, pour autel un rocher, pour église un désert, pour assistance d'innocents sauvages! Non, je ne doute point qu'au moment où nous nous prosternâmes, le grand mystère ne s'accomplît et que Dieu ne descendît sur la terre, car je le sentis descendre dans mon coeur". (Atala, p.49).

         On doit rapprocher de cette description celle où CHATEAUBRIAND a décrit d'une manière consommée la beauté d'un cantique chanté par des marins sur les immensités de l'Océan Atlantique. Il est rare de trouver, à la vérité, dans la littérature un endroit poétique où la beauté du culte soit associée si intimement aux splendeurs de la nature. (a)

 

         VII - Nous apportons encore à titre documentaire cette scène où CHATEAUBRIAND a voulu associer à cet accord entre la nature et la Liturgie, l'enthousiasme national qui en France trouve souvent dans la Liturgie son expression tout à fait naturelle:

"Enfin, c'est l'enthousiasme même qui inspira le Te Deum. Lorsque arrêtée sur les plaines de Lens ou de Fontenoy au milieu des poudres et du sang fumant encore, une armée française, sillonnée des feux de la guerre, fléchissait le genoux et entonnait l'hymne au Dieu des batailles, ou bien lorsqu'au milieu des lampes, des masses d'or, des flambeaux, des parfums,

 

(a) V. Génie I,V,12 p.114; V.e. Génie III,V,5 "Ils sont passé" jusqu'à..."étaient descendues".

 

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aux soupirs de l'orgue, au balancement des cloches, au frémissement des serpents et des basses, cette hymne faisait résonner les vitraux, les souterrains et les dômes d'une basilique, alors il n'y avait point d'homme qui ne se sentît transporté, point d'homme qui n'éprouvât quelque mouvement de ce délire qui faisait éclater Pindare aux bois d'Olympie ou David au torrent de Cédron." (a)

         Nous verrons plus tard que ces descriptions des cérémonies liturgico-patriotiques deviendront dans la suite chez les écrivains français de plus en plus nombreuses et atteindront à l'époque de la guerre mondiale leur point culminant ( HENRI GHEON, Témoignages d'un Converti).

 

         VIII - En définitive, CHATEAUBRIAND occupe une place importante parmi les écrivains liturgiques. Quoique ses connaissances ne fussent ni larges ni profondes, - il paraît même avoir ignoré la poésie du Bréviaire (b) - et qu'elles fussent inférieures à celles des grands classiques  du XVIIème siècle, il lui revient l'honneur d'avoir réagi efficacement contre la conception antiliturgique du siècle précédent.

         Aussi a-t-il frayé le chemin à DOM GUERANGER qui, épris d'enthousiasme passionné pour la civilisation du Moyen Age exaltée par CHATEAUBRIAND, s'est mis par la suite à l'étudier scientifiquement pour y découvrir l'art jusque là insoupçonné de la Liturgie. Considérés sous l'angle purement littéraire, ses mérites consistent à nous avoir laissé nombre de descriptions magistrales où les cérémonies du culte forment avec les grands spectacles de la nature un ensemble harmonieux et poétique. Ses imitateurs, qu'ils s'appellent RENAUDIERE, DELILLE ou FONTANES, sont très inférieurs à leur maître. Leurs descriptions des cérémonies liturgiques et populaires n'ont pas cette envergure de grandeur poétique qui donne à l'oeuvre de CHATEAUBRIAND son véritable cachet.(c) Elles n'intéressent l'historien de la Liturgie qu'à titre purement documentaire; il y apprend quelles cérémonies ont été goûtées davantage, sous le premier empire, et rien de plus.

 

(a) J. DE MAISTRE éprouvait presque les mêmes sensations à propos du Te Deum.

(b) Tout ce que nous avons pu constater à ce sujet, c'est son appréciation de la "Traduction des Hymnes du Bréviaire" par RACINE (Génie,p.375)

(c) On les trouve dans l'Appendice du Génie