CHAPITRE VI

 

FREDERIC MISTRAL

(1830-1914)

 

 

         I - Introduction.

         II - Mirèio fournit un document précieux sur la vie liturgique de la Provence dans le milieu du siècle précédent. Les penchants romantiques de MISTRAL l'ont poussé à choisir certains éléments liturgiques qui sont à même d'inspirer l'horreur.

         III - Amateur des cérémonies populaires, il marche dans les traces de CHATEAUBRIAND et annonce certains écrivains contemporains (E. BAUMANN, FR. JAMMES).

         IV - Description d'un pèlerinage.

         V - L'Extrême onction et la poésie de la fête de Noël le charment.

 

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         I - Nous intercalons à cet endroit un court aperçu sur l'auteur sympathique du charmant roman en vers qu'est Mirèio (1859). Quoique FREDERIC MISTRAL  n'appartienne pas à proprement parler à la poésie française, ses oeuvres nous fournissent cependant une petite tranche de la vie de cette Provence qui constitue une des régions les plus intéressantes et les plus belles de la France.

 

         II - Comme nous avons pu admirer chez BARBEY D'AUREVILLY, les moeurs des Normands pétris de Liturgie, si bien que les légendes et les contes sur des messes des damnés n'y sont pas très rares, de même pouvons-nous nous rendre compte en étudiant MISTRAL des éléments semblables que comporte la vie religionale des Provençaux. La traduction d'un passage extrait de Mirèio que nous ne pouvons nous empêcher de transcrire met en lumière le même fait relevé d'ailleurs à propos de l'auteur de L'Ensorcelée, à savoir que les frémissements d'horreur provoqués par la Liturgie et notés par les écrivains sont dus à l'influence de l’école romantique (Lucrèce Borgia).

 

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"Vers le temps où la Vieille irritée

Lance à Février sa ruade

Dans les églises désertes et fermées à triple tour de clef

N'allez pas, femmes attardées,

Le front pendant sur une chaise

Rester endormies... dans les ténèbres

Vous pouvez voir les dalles se soulever tout alentour

Et les luminaires s'allumer

Et, cousus dans leurs suaires,

Les morts, un à un aller se mettre à genoux

Un prêtre pâle comme eux,

Dire la messe et l'Evangile

Et les cloches d'elles-mêmes

En branle, pleurer des glas avec des soupirs.

Parlez, parlez-en aux effrayées :

Dans les églises pour boire l'huile

Des lampes, quand, l'hiver, elles descendent des cloches,

Demandez leur si je vous mens,

Et si le clerc qui sert l'office

Qui dans le calice verse le vin,

N'est pas le seul vivant de la cérémonie.

 

Vers le temps où la Vieille irritée

Lance à Février sa ruade

Pâtres, si vous ne voulez ébouriffés de peur,

Rester sept ans les jambes raides,

Charmés, là où vous êtes avec vos brebis,

Rentrez moins tard dans vos claies

Pâtres, le Trou des Fées a lâché tout son vol. (Ch.VI.p.245)

 

         Les penchants romantiques de MISTRAL ont certainement contribué à ce qu'il ait choisit parmi les légendes populaires celles qui étaient à même d'éveiller chez le lecteur des frémissements d'horreur.

 

         III - Ce regain de préoccupations romantiques à une époque où les DUMAS fils et les AUGIER remportaient les lauriers de triomphes innombrables est bien facile à expliquer. MISTRAL ne s'est pas laissé entraîner par les préventions d'une société renfermée dans le cercle rétréci de la capitale, mais en gardant un contact ininterrompu avec la population dont il est issu, il n'a jamais cessé d'aimer tout ce qui était bon et saint dans ses moeurs. (a)

 

(a) V.Sully Prudhomme, Poésies [1879-1888] p.94).

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Il forme donc ce noeud qui relie l'admirateur des cérémonies populaires que fut CHATEAUBRIAND aux écrivains modernes qui ont retrouvé le chemin menant à l'âme du peuple. (BAUMANN, JAMMES).

 

         IV - La description d'une cérémonie religieuse et populaire où les foules demandent le miracle, ne rappelle-t-elle pas à notre mémoire ces fêtes rustiques que nous avons mentionnées a propos du Le Génie du Christianisme ou qui nous ont transporté d'admiration en lisant certaines belles pages des oeuvres de F. JAMMES ou du Fer sur l'Enclume de E. BAUMANN :

"Mais n'avez vous jamais été aux Saintes ? (a)

C'est là, pauvrette que l'on chante ;

Là que de toute part on apporte les infirmes.

Nous y passâmes lors de la fête.

Certes, l'église était petite,

Mais quels cris, et que d'ex-voto

O Saintes, grandes Saintes, ayez pitié de nous.

Autour de lui (b) coulaient les pleurs

En même temps, les châsses descendaient (c)

Lentement de là-haut sur le peuple accroupi

Et sitôt que le câble

Mollissait tant soit peu, l'église entière

Comme un grand vent dans les taillis,

Criait :"Grandes Saintes, oh venez nous sauver"(d) (Ch.I, p.31)

 

         V - L'Extrême onction et la poésie de Noël charmaient le grand Provençal. Quoique celle-ci ne soit qu'ébauchée dans l'édition définitive de Mirèio, MISTRAL avait l'intention de la fixer dans le VIIème chant (e) Voici la scène dans laquelle nous assistons à la mort de Mirèio :

"On avait allumé les cierges

Ceint de l'étole violette

Vint le prêtre avec le pain angélique

Rafraîchir son palais qui brûle

Puis il lui donne l'onction extrême

Et l'oignit avec le Chrême saint

En sept parties de son corps, selon l'us catholique

En ce moment, tout était calme

 

(a) C'est un lieu de pèlerinage où gisent d'après une très ancienne tradition les corps des trois Maries parentes du Christ

(b) C'est à dire de l'enfant aveugle qui pleurait

(c) Où se trouvaient les reliques des trois saintes

(d) L'enfant guérit dans le poême instantanément

(e) V. les notes dans l'appendice de l'édition citée

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On n'entendait sur la dalle

que l'Oremus du prêtre. (Ch.XII, p. 487).

 

         Bien plus, il allait jusqu'à marquer ses journées selon le calendrier liturgique et faisait ainsi figure d'un représentant dévoué et fidèle aux conceptions liturgiques du peuple à l'âme duquel il dut ses plus belles inspirations. (a)

 

(a) C'est ainsi qu'il a noté la date de la composition de son beau poême : "Maillane (Bouches du Rhône), le beau jour de la Chandeleur, de l'année 1859"