CHAPITRE X

 

JORIS-KARL HUYSMANS

 CARACTERISTIQUE GENERALE

 

 

         I - Ses descriptions liturgiques sont souvent de la peinture ou de la musique transposée. Des commentaires les accompagnent dans nombre de cas. Les causeries sur divers sujets liturgiques abondent dans son oeuvre.

         II - Ses commentaires sont dans la plupart de ces cas conçus dans un esprit artistique; le côté doctrinal de la Liturgie le laisse assez indifférent.

         III - Il analyse l'art de l'Eglise comme s'il avait afaire à des oeuvres d'art profane.
         IV - Il compare un art à l'autre et prétend que tous ensembles s'harmonisent dans la Liturgie.

         V - L'enthousiasme liturgique de HUYSMANS s'explique par le sens liturgique très développé chez les Français.

         VI - Il fut parmi les écrivains français celui dont les connaissances liturgiques étaient les plus vastes.

         VII - Il a voulu faire de l'apologétique pour les artistes.

         VIII - Aussi est-il tombé dans l'esthétisme.

         IX - Il a tâché de prouver, comme CHATEAUBRIAND que le catholicisme est vrai, parce que ses prières l'emportent sur toutes les autres.

         X - Points communs avec Barbey D'AUREVILLY et LEON BLOY.

         XI - Son influence et ses mérites.

 

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         I - Nous trouvons d'abord chez HUYSMANS un assez grand nombre de descriptions réalistes des principales cérémonies religieuses. Elle deviennent souvent si précises et si détaillées qu'un connaisseur se trouve dans la plupart des cas à même de deviner leur espèce ou même le jour de l'année liturgique avant que l'auteur ne le lui ait découvert(18).

La plupart d'entre-elles révèlent le puissant talent de HUYSMANS de nous peindre les détails les plus minutieux. Ces descriptions ne sont en effet que de la musique ou de la peinture transposées en paroles. Elles sont souvent parsemées de paroles explicatives ou même elles n'exercent pas de fonction autre que de fournir à l'auteur l'occasion de nous commenter certains symboles et de nous découvrir le sens caché de quelques cérémonies.(a) L'on y trouve ensuite de courtes caractéristiques d'une justesse frappante. Elles nous disent en quelques mots l'essentiel de certains offices(19). HUYSMANS compare les textes liturgiques entre eux, et ainsi il fait ressortir encore davantage leur beauté attachante:

         "Dies irae l'hymne désespéré du Moyen Age n'était pas le même que De Profundis,  une supplique humble, une souffrance qui se croit entendue, qui discerne pour cheminer dans sa nuit un sentier de lueurs; ce n'était plus la prière qui conserve assez d'espoir pour ne pas trembler, c'était le cri de la désolation absolue et de l'effroi" (En Route p.14-17).

Aussi ne pouvons nous pas nous défendre de mentionner à cette occasion le très grand nombre de causeries concernant les divers sujets liturgiques. HUYSMANS y compare le chant des religieuses de Sainte-Cécile à celui des maîtrises de Paris et il exprime de même ses goûts personnels au sujet de certains textes :

         "En fin de compte, je préfère le texte du Dies Irae à celui du De Profundis, et la mélodie du De Profundis à celle du Dies Irae (En Route, p.17).

         Aussi se scandalise-t-il à propos des "sauces modernes" du plain-chant exécuté à Saint-Sulpice, mais il préfère cependant son "majestueux" et "admirable Magnificat Royal" à celui de la Trappe qui est "abrupt et d'un éclat sec" (En Route, p.392-393). Il estime enfin que les Vêpres chantées par les maîtrises de Saint-Sulpice “sont plus massives, plus graves, plus romanes que celles des Bénédictines de la rue Monsieur" (ibid p.392). Quand il nous avoue les difficultés qu'il éprouve d'abord pendant la psalmodie, ou qu'il nous cause amicalement sur le caractère talismanique des prières récitées en commun, il rend plus attrayant le sujet, qui est déjà intéressant de sa propre nature (Oblat, p.111-112).

 

         II - La grande quantité de commentaires liturgiques donne à l'oeuvre de Huysmans un vernis scientifique. L'on pourrait sans aucune difficulté ranger la plupart de ses livres écrits après sa conversion (1892) parmi ceux qui s'occupent de la vulgarisation liturgique. La seule chose qui distingue les

(a) Te Deum (A Rebours, p.271)

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commentaires de HUYSMANS de ceux des savants en matière liturgique, c'est que le point de vue artistique l'emporte chez lui sur tous les autres. Nous n'avons pas de place pour donner la liste de tous ces commentaires. Nous nous contenterons d'en citer un seul:

         "Et, feuilletant son eucologe, voyant le cercle inouï d'offices, il pensait à ce prodigieux joyau, à cette couronne du roi Recceswinthe que le musée de Cluny recèle. L'année liturgique n'était-elle pas, comme elle, pavée de cristaux et de cabochons par ses admirables cantiques, par ses ferventes hymnes, sertis dans l'or même des saluts et des vêpres...  Rorate coeli ce chant mélancolique de l'attente et du regret, cette gemme fumeuse, violacée, dont l'eau s'éclaire...

         C'était le carême dont les améthystes s'éteignait dans le gris mouillé des hydrophanes, dans le blanc embruné des quartz et l'invocation magnifique l'Attende Domine montait sous les cintres... Et subitement, sur cette couronne éclatait, après les feux las des Carêmes, l'escarboucle en flamme de la Passion... Dans cette couronne du Propre du Temps s'insèrent, telles que des pierres plus petites, les proses du Propre des Saints qui comblent les places vides et achèvent de parer le cycle. D'abord les perles et les gemmes de la Sainte-Vierge, les joyaux limpides, les saphirs bleus et les spinelles roses de ses antiennes..." (En Route, p. 406-411).

         Que ce court extrait d'une beauté suprême nous suffise; pour ce qui est du reste, nous renvoyons à la note 20. A côté de ces commentaires artistiques, il faut placer ces passages qui consacrent plus d'attention à l'évolution historique de certains poèmes, textes et cérémonies (21).

         Ils trahissent une certaine hypertrophie du point de vue esthétique et on l’a même reproché à HUYSMANS à plusieurs reprises; comme la valeur doctrinale de la Liturgie lui était presque indifférente, il nous dit très rarement si certains textes ont exercé une influence salutaire bonne et active sur la transformation de sa vie même. Il est de notre part très difficile d'en donner notre avis; notre tâche ne consiste qu'à montrer les faits et relever comme incontestable que le sens esthétique de HUYSMANS était développé chez lui dans une telle mesure qu'il éclipsait toutes les autres facultés de son être.

 

         III - Nous le verrons à l'instant lors de l'analyse des procédés techniques de HUYSMANS que nous allons entreprendre en détail. Il suffit de citer un exemple saillant pour s'en persuader. Imaginez-vous HUYSMANS fréquentant n'importe quelle église pour  assister à un office. Il s'y prend comme dans un théâtre: ayant entre ses mains le texte de l'office, il suit attentivement les paroles, les chants et les gestes de ceux qui officient. Revenu chez lui, il note sur son journal ses impressions et donne une analyse littéraire (22) ou musicale de ce qu'il vient d'entendre (23), relève les beaux aspects qu’il a remarqués  (24), en don son avis esthétique (25) et peint

 

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enfin ses propres méditations imagées provoquées par les dites cérémonies (26). Il note ensuite les endroits qui ont le plus de prise sur sa vie intérieure

(27), les critique souvent très sévèrement et propose enfin des réformes (28)  par lesquelles on pourrait rehausser l'éclat et la beauté artistiques de certains textes et même des livres liturgiques tout entiers (29). Il insiste tout particulièrement à ce que les futurs réformateurs du Bréviaire soient choisis parmi des savants doublés d'artistes.

 

         IV - Cependant, le talent prodigieux de cet écrivain éclate d'une manière évidente dans son style. Malgré de nombreux barbarismes, ("Tous-Saint d'âme" dans Là-bas p.135) (a) des expressions trop crues ("onanisme musical" dans En Route, p.18 "orgies d'allégresses liturgiques” dans Oblat, p. 291-292), il a le don d'éveiller tous nos sens:

         "Ecoutent-elles souffler le vent désolé des psaumes et mugir les grandes eaux de l'orgue ? " (Cathédrale p. 254).

         Ou bien :

         “Et la procession... s'était déroulée sous la pluie fine des cantiques, coupés par l'averse des cuivres..." (ibid., p.212).

         L'expression "l'encens musical des neumes" seule, éveille trois sens différents: l'odeur et la vue par l'encens et l'ouïe par le mot musical. (Oblat p. 372).

         Aussi sait-il nous représenter des idées ou des sensations abstraites sous des formes plastiques: “Voici la généalogie du Christ (Math I,1-16... Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob.") qu'on lit pendant l'office de Noël et qui n'est qu'une simple énumération, elle devient sous la plume de HUYSMANS d'une vivacité plastique: "... et, dans la mélopée étrange et marrie, monotone et câline, passaient de singulières figures de Patriarches suscitées, comme en un coup d'éclair, par l'appel de leur nom, et ils retombaient aussitôt qu'un autre leur succédait, dans l'ombre" (Oblat p.194)(30).

         Les couleurs dont il dispose atteignent un pareil but: C'est ainsi qu'il prétend que la séquence Salvete flores martyrum est rouge, le Miserere couleur de cendre, (En Route p. 408-411), l'hymne Vexilla regis teinte de sang (Oblat p.30).

HUYSMANS se sert ensuite d'un art pour nous faire comprendre quelque chose qui est du domaine d'un autre:

         "La salutation angélique de l'art a été répétée sans interruption par les imagiers en tous les temps..." (Cathédrale, p. 235).

 

(a) V.e. "hourras liturgiques" Oblat p,30; p.180-181; En route p.267)

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         Il préfère avant tout nous montrer l'harmonie qui existe entre le plain-chant et certains textes d'une part les tableaux des Primitifs d'autre part:

"... cette Epître (de la Toussaint) ... est plutôt un idéal tableau de Primitifs, et ce qu'en effet les vieux peintres flamands l'auront traduit, ce texte de Saint Jean dans lequel défilent les Anges, les Vieillards, les Saints..." (Oblat p.90).     Ou bien :

         "Les réponses des Ténèbres de Vittoria ne sont-ils pas d'une inspiration similaire, d'une altitude égale à celles du chef d'oeuvre de Quentin Metsys, l'ensevelissement du Christ..." (En Route p.12). Ou encore:

         "Il se trouvait en face d'un chant à la maigreur efficace et nerveuse des Primitifs..." (ibid p.141; V.e.197-198).

         Enfin le plain-chant "est l'interprétation immatérielle et fluide des toiles des Primitifs" (ibid p.13).

         L'architecture médiévale lui paraît de même correspondre à la musique de l'Eglise. Nous allons citer quatre exemples qui le mettront suffisamment en relief :

         Le "plain-chant est la paraphrase aérienne et mouvant de l'immobile structure des cathédrales..." (En Route, p.13).

         "Quant au plain-chant, l'accord de la mélodie avec l'architecture est certain aussi, parfois il se courbe ainsi que les sombres arceaux romans, surgit ténébreux et pensif, tel que les pleins-cintres. Le De Profundis... s'incourve semblable à ces grands arcs qui forment l'ossature, enfumée des voûtes; il est lent et nocturne comme eux; il ne se fond que dans l’obscurité, ne se meurt que dans la pénombre marrie des cryptes." (ibid p.12-13; V. A Rebours p. 269).

         "Parfois, au contraire, le chant grégorien semble emprunter au gothique ses lobes fleuris, ses flèches déchiquetées, ses rouets de gaze, ses trémies de dentelles, ses guipures légères et ténues comme des voix d'enfants..." (En Route, p.13).

         "D'autres fois encore, la musique plane et la musique chrétienne qu'elle enfanta se plient de même que la sculpture à la gaieté du peuple." (Ainsi dans le chant de Noël Adeste fideles, et dans l'hymne pascal l'O filii et filiae, En Route, p.13).

         Toute cette concordance de tous les arts, qu'ils s'appellent sculpture ou architecture, peinture ou joaillerie, chant ou poésie, associés à de belles attitudes, gestes, et mouvements, embellis par des fleurs et des vêtements splendides, ne servent qu'à créer une oeuvre d'art unique - la Liturgie. Comme les arts ne se laissent pas entraver dans des limites serrées, HUYSMANS les compare entre eux:

 

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         "....Les pierres et les vitres répètent les ‘antiennes’ de la Ste-Vierge et il n'est pas jusqu'à l'aspect belliqueux de quelques détails du sanctuaire jusqu'à cette tournure chevaleresque rappelant les Croisades, avec les lames d'épées et les boucliers des fenêtres des roses, le casque des ogives, les cottes de mailles du clocher vieux, les treillis de fer de certains carreaux, qui n'évoquent le souvenir du capitule de Prime et de l'antienne de Laudes de son petit office, qui ne traduise le terribilis ut castrorum acies ordinata, qui ne relate cette privauté qu'elle possède, quand elle le veut, d'être ‘ainsi qu'une armée rangée en bataille, terrible’ (Cathédrale, p.486)."

         On pourrait prétendre que la plume de HUYSMANS remplace un ciseau comme on a dit avec justesse qu'elle vaut un pinceau " (MUGNIER):

         "Ce fut donc en l'âme de la Vierge, comme une sorte de triptyque. La douleur prépotente, parvenue à l'état intense sur le panneau du milieu et de chaque côté, l'angoisse, le ténesme d'une attente, les deux volets différents pourtant, en ce sens que l'attente d'avant la crucifixion avait pour but la crainte et celle d'après, l'espoir" (Oblat, p.359).

         Si l'on ne connaît pas un art, il est impossible, c'est son avis, d'avoir une notion juste de l'autre. Nous ne nous étonnons donc, s'il rapproche les pièces musicales de la peinture ou s'il compare l'année liturgique à un chef d'oeuvre de joaillerie (la couronne de Recceswinthe!) (En Route p.406-411). Quand il montre les relations qui existent entre les gemmes ou les fleurs et certaines prières de l'office divin, il n'use d'autre procédé que de celui dont il était coutumier depuis toujours:

         A "la fête des Saints Innocents s'épanouissait telle qu'une flore d'abattoir en une gerbe cueillie sur un sol irrigué par le sang des agneaux, cette séquence rouge et sentant la rose qu'est la "Salvete flores martyrum" (En Route p.408).

         “... La chrysolithe qui est l'emblème de la sagesse ne traduit-elle pas bien exactement le "Sedes sapientiae" des Litanies de la Sainte-Vierge et l'escarboucle, qui est renommée le "Virgo praedicanda" (Cathédrale p.200-201, V.e. En Route p.408-409).

Aussi a-t-il eu l'idée de "cultiver une flore liturgique et des légumineuse à emblèmes, oeuvrer un jardin qui célébraient la gloire de Dieu, lui porteraient nos prières dans leur idiome, rempliraient en un mot le but du Cantique des trois jeunes gens..." (Cathédrale, p.275).

Un tel désir de HUYSMANS offre le spectacle d'un raffinement esthétique exagéré.

 

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         V - Passons enfin aux conclusions qui ressortent des faits énoncés. Il faut tout d'abord constater que l'oeuvre de HUYSMANS est la meilleure preuve de la véracité des paroles de Taine, que nous avons posé en tête de notre étude. Les nombreuses descriptions de cérémonies liturgiques, qu'elles se soient déroulées dans les diverses églises de Paris ou à Lourdes, ou dans les monastères nous fournissent un document inappréciable sur la vie liturgique en France. Quant à HUYSMANS lui-même, il n'eut jamais pu pousser son enthousiasme liturgique à un degré si éminent si la Nation française n'avait pas été une Nation liturgique. (31)

 

         VI - HUYSMANS a été parmi les écrivains français celui dont les connaissances liturgiques ont été les plus vastes que chez le reste de ses contemporains. Si l'on connaît les difficultés (32) auxquelles il devait nécessairement se heurter par suite de mauvaises et insuffisantes éditions d'importants livres liturgiques, nous saurons bien apprécier ses mérites. (33)

 

         VII - Nous trouvons dans ses oeuvres une foule d'appréciations artistiques des cérémonies les plus diverses, dont il serait facile de faire un catéchisme liturgique pour les artistes.(a) Il faut bien appuyer sur ce point, car il a songé tout d'abord aux artistes en écrivant en forme de journal ses analyses liturgiques. C'est de l'apologétique qu'il a voulu faire ; issu d'un milieu artistique et voulant y rester, il s'est efforcé de montrer aux intellectuels français le bien-fonds de beauté méconnue et cachée dans le catholicisme. La Liturgie n'est pas, en résumé, seulement un trésor d'idées les plus profondes rendues visibles et populaires par le concours harmonieux de tous les arts existants. Elle est aussi vivante, parce qu'elle suit à travers l'univers entier et à travers les générations humaines les mouvements des constellations atmosphériques et transforme en même temps la vie intérieure et extérieure des nations.

 

         VIII - Ayant une conception si élevée de la Liturgie et voulant faire de l'apologétique artistique, il ne faut pas nous étonner qu'il soit tombé dans un extrême que nous préférons désigner sous le nom d' “esthétisme” (34). HUYSMANS trop charmé par le coté de la Liturgie elle-même, oublie souvent les trésors de sciences philosophiques et théologiques qui y sont cachés et ne pense pas toujours qu’un des buts qu’elle poursuit est d'opérer la transformation de l'homme tout entier. Cet écrivain est allé si loin dans son engouement artistique jusqu’a attaquer avec acharnement et avec peu de décence tous ceux qui n’aient pas montré moins de scrupules dans le choix des pièces musicales pour l'église. La laideur était à son avis un sacrilège et il la combattait avec tous les moyens dont il disposait. Il prétendait meme que la "Liturgie épure, désinfecte la laideur impie..." (En Route, p. 18; V.e ibid., p. 389).

(a) C'est en effet Huysmans lui-même qui a écrit la préface du Petit cathéchisme liturgique de M. l'abbé Dutillet (Paris 1895, Bricou)

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         IX - Ses conceptions liturgiques, qui sont pour la plupart inspirées directement par les oeuvres scientifiques (DOM GUERANGER, CHEVALLIER etc.), entrent donc par leur propre nature d'écrivains liturgiques qui sert de titre à la premiere partie de cette étude. HUYSMANS possède une intuition artistique qui le rapproche de CHATEAUBRIAND. Ces deux écrivains déployaient tous leurs efforts pour prouver que la Catholicisme est vrai parce que la Liturgie est d'une beauté incomparable. On trouve de même chez ces deux écrivains des endroits qui font ressortir d'une manière saillante une intuition artistique similaire:

         "Et à la fin des Laudes, dans le silence du choeur, tombé comme mort avec ses mômes agenouillés, la tête dans les mains ou le front poli par la lumière sur le pupitre, l'angélus dégageait du clocher ses trois volées de sons et alors à leur dernier tire-aile qui se prolongeait dans les nuit, tous se redressaient..." (Oblat p.176).(a)

HUYSMANS exigeait ensuite pour l'exécution du Te Deum à l'instar de Chateaubriand "des centaines de voix pour projeter ces énormes et ces magnifiques pièces..." (Oblat, p.193).

         L'accord entre les saisons de la nature et l'année liturgique ne lui a pas échappé. (Oblat p.181-182) non plus qu'à l'auteur du Génie et à BARBEY D'AUREVILLY.

 

         X - Aussi semble-t-il que ce fut BARBEY D'AUREVILLY qui ait fait pencher l'intérêt de HUYSMANS du côté du satanisme liturgique.(b) La Liturgie l’a  enfin ému au point qu’en la suivant attentivement il a senti à l’instar de son contemporain L.BLOY des sensations d’ordre physique:

         "Le  Vexilla Regis et l'envolée superbe de cette séquence, ce défilé de ces strophes charriant d'impétueux trophées, les saisissaient aux moelles..." (Oblat, p.30).

 

         XI - Pour ce qui est de l'influence de HUYSMANS sur d'autres écrivains, elle est encore aujourd'hui énorme. La chapelle des Bénédictines de la rue Monsieur est devenue après la publication d'En Route un lieu de pèlerinage pour ceux qui s'intéressent à la Liturgie. De nombreux écrivains français voulurent depuis connaître le trésor d'art qui s'y étale sans voile; et si nous affirmons que la plus grande partie des écrivains croyants - et ils sont aujourd'hui fort nombreux, - ont leur paroissien (quelques uns se servent même de bréviaire), il faut l'attribuer en grande partie  à l'apostolat efficace de HUYSMANS.

 

(a) Non seulement Chateaubriand a senti la poésie de l'Angélus, (Génie), mais même l'antiliturgiste Rousseau en fut charmé [Confessions]. Quant aux poêtes lyriques qui ont fixé la solennité de ce moment, ils sont légion

(b) V. A Rebours, p.213-215

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         Si nombre d'écrivains ont rejeté les exagérations liturgiques et qu'ils ont remis la Liturgie à la place normale qui lui convient dans la vie d'un peuple (BAUMANN!), il est certainement le mérite de HUYSMANS qu'elle ne demeure plus aujourd'hui cachée dans cet oubli dans lequel elle avait végété avant lui. Et si enfin un écrivain doit savoir gré de l'action bienfaisante qu'à exercée HUYSMANS, on peut citer avec raison PAUL CLAUDEL. (35)

         L'influence de HUYSMANS dépasse enfin de beaucoup celle de BLOY. "Le goût de la Liturgie, le sens du cérémonial, l'amour de la symbolique, l'admiration de l'art religieux et des beaux offices" (Oblat, p.247-248) qui constituaient l'un des stigmates les plus essentiels de son être tout entier sont devenus aujourd'hui, grâce tout d'abord à lui, l’héritage d'un grand nombre d'écrivains contemporains.