LES  INDEPENDANTS

 

 

CHAPITRE XXI

 

CHARLES PEGUY

(1873-1914)

 

 

            I - La Liturgie occupe une place considérable dans la vie intérieure de CHARLES PEGUY.

            II - Ses connaissances liturgiques ne sont pas très vastes. Son étonnement à propos de la fête des Rameaux.

            III - Ce que signifient ses nombreuses répétitions. Méditations sur le IVème Dimanche de l'Avent.

            IV - L'office de la Fête des Saints Innocents l'aide à chanter l'innocence enfantine. Le texte apocalyptique: Vidi supra montem... et l'hymne Salvete flores martyrum le transportent d'enthousiasme poétique.

            V - Méditation sur la signification de la Sépulture des petits enfants.

            VI - D'autres réminiscences liturgiques.

            VII - Les Français, tels que PEGUY les conçoit, considèrent le moment de l'Elévation comme l'instant le plus solennel du monde.

            VIII - Valeur doctrinale de la Liturgie.

            IX - PEGUY et PAUL CLAUDEL.

 

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            I - Nous nous éloignons avec CHARLES PEGUY de ces poètes qui ont chanté et écrit dans la manière de leurs prédécesseurs. Cet esprit indépendant, ce poète d'une vieille souche paysanne est peut-être celui qui représente mieux que tout autre écrivain cette transformation profonde opérée dans les esprits de la nouvelle génération d'écrivains français. Ce n'est pas notre tâche de faire ressortir l'originalité de l'oeuvre de PEGUY. Nous sommes tenus de passer tous ces points sous silence pour nous acheminer le plus vite possible vers notre but, qui est de montrer que l'influence de la Liturgie était de haute importance pour la vie intérieure de cet écrivain, comme d'ailleurs pour celle de la plupart des grands écrivains contemporains.

 

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            II - PEGUY désigne lui-même dans Un nouveau théologien les sources suivantes de sa vie intérieure: "1. le catéchisme, les sacrements; 2. la messe et les Vêpres, le salut, les offices, la Liturgie..." (LAUREC, p.74).

            Il l'avoue donc lui-même : la Liturgie est une des muses inspiratrices de sa poésie. Cependant, comme son caractère est très récalcitrant et qu'il s'oppose souvent à l'étude suivie de cette conception religieuse qu'il a embrassée en 1908, nous devons constater que ses connaissances dans ce domaine n'ont jamais été très étendues. Nous allons en apporter quelques exemples en analysant les méditations sur la Fête des Rameaux, sur le IVème Dimanche de l'Avent sur l’office du 28 décembre et sur la Sépulture des petits enfants. Les passages que nous allons citer en entier, parce qu'aucun commentaire ne saurait être à même d'en expliquer les endroits les plus charmants, poussés sous le souffle de la Liturgie, nous introduisent tout droit dans la vie intérieure de ce poète converti.

            Quand nous l'accompagnons par exemple dans ses méditations, il nous faut partager son sentiment d'étonnement persistant et profond de ce que Dieu ait pu descendre sur la terre, et monté sur son ânon, réjouir les habitants d'une ville passagère. Le mystère que distille ce passage, évoqué par les multiples répétitions finit enfin par nous saisir et nous ne pouvons enfin nous défendre de ne pas convenir qu'un tel fait ait été en effet quelque chose de très curieux et qu'il soit digne de toutes nos attentions :

            "Mais vous Jérusalem, vous êtes plus heureuse, vous êtes heureuse entre toutes les villes, vous êtes infiniment plus grande, plus heureuse et plus honorée. Vous avez reçu un honneur infiniment plus grand. Vous êtes heureuse par dessus la tête de toutes les villes, car il est entré dans vos murs, monté sur l'ânon d'une ânesse, et cela ne se recommencera point; et le peuple de ce pays là jetait des palmes et des feuilles, des rameaux et des fleurs sous les pieds de l'ânesse." (Mystères de la Charité de Jeanne d'Arc, p.73-75, 1910).

 

            III - Ce sentiment d'étonnement profond, cette conscience d'être enveloppé par une vie mystérieuse insaisissable est la note dominante de la poésie de Charles PEGUY. Cela nous explique ses nombreuses répétitions; il veut se suggérer à lui-même, avec un effort continu et inebranlable que les vérités auxquelles sa raison croit sont des réalités vivantes. Nous gagnons cette impression en admirant le long passage qui se rattache à la Fête des Saints Innocents, ou en lisant ses méditations sur l'Introit du IVème Dimanche de l'Avent:

 

"Terre antique, terre d'Egypte, tu parais endormie,

mais ton sommeil a été troublé trois fois

par les pas qui venaient.

Terre tu as été bénie trois fois et toi désert

stérile tu as été arrosé trois fois.

 

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Rorate Coeli de super. Et nubes pluant justum.

Cieux, faites votre rosée, d'en haut. Et que les nuages pleuvent le Juste.

Cieux, faites descendre votre rosée. O terre d'Egypte

Tu as fourni une singulière histoire"

                                             (Mystères des Saints Innocents, p.201)

 

            IV - Pourquoi PEGUY a-t-il choisi particulièrement cette fête, pourquoi a-t-il couronné le Mystère des Saints Innocents (1911, p.210-234) précisément par une conclusion liturgique? Nous n'aurons pas compris toute l'originalité de la conception liturgique de cet écrivain avant d'avoir répondu à ces deux questions. PEGUY en voulant exalter avec toute la puissance de son âme d'art cette innocence candide qui est cachée dans l'âme enfantine sous des apparences humbles faillit frôler l'Impossible. Quel poète aurait pu pleinement résoudre une telle tâche?

            PEGUY le fit mais en astreignant à son service la Liturgie du 28 décembre qui a donné une expression artistique pleinement réussie à ce complexe de vérités qu'aucun poète connu n'a chanté jusqu'à présent. Les longues méditations liturgiques sur l'Epître et l'hymne des Vêpres (et Laudes) de ce jour, nous font saisir au vif cet univers inexploré de beauté qu'est une âme enfantine. La Liturgie n'est dans ce cas seulement l'incomparable inspiratrice, elle est en même temps l'expression artistique la plus achevée d'une multitude de vérités, et ce trésor de philosophie qui explique le sens de réalités existantes.

            Nous citons d'abord cette méditation sur l'épître qu'il serait bon de comparer au texte de l'Apocalypse si l’on veut mieux saisir la manière originale de ce poète médiéval égaré dans l'époque moderne (a)

            Après nous avoir donné en entier, et c'est bien distinctif pour PEGUY, le texte de l'Evangile et d'une partie de l'Epître, il s'arrête à l'endroit que voici:

 

"Tu entends bien mon enfant, qui empti sunt de terra, qui ont été enlevés de la terre.

Tout le monde est enlevé de la terre,à son jour à son heure,

Mais tout le monde est enlevé de la terre trop tard, quand déjà la terre a pris sur lui...

Mais eux, eux seuls, empti sunt de terra, littéralement ils furent enlevés de la terre.

Avant qu'ils fussent aucunement entrés en terre,

Ils sont cent quarante quattre mille et ce sont eux qui ont

 

(a)Vidi supra montem Sion Agnum stantem, et cum eo centum quadraginta quattuor millia, habentes nomen ejus, et nomem Patris ejus, scriptum in frontibus suis. Et audivi vocem de coelo, tamquam vocem tonitrui magni et vocem quam audivi, sicut citharoedorum citharizantium in citharis suis. Et cantabant quasi canticum novum ante sedem et ante quattuor animalia et seniores. Et nemo poterat dicere canticum, nisi illa centum quadraginta quattuor millia, qui empti sunt de terra (Ap. 14,1-4).

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Mon nom et le nom de mon fils écrit sur le front

Et l'apôtre entendit une voix du ciel .....

Mais ils chantaient comme un cantique nouveau

devant le siège.

Et devant les quatre animaux, et les vieillards.

C'est un cantique nouveau pour

marquer cette éternelle nouveauté qu'il y a dans l'enfance

Et qui est le plus grand secret de ma grâce.

Cette renaissance, cette perpétuellement renaissante

Cette éternellement renaissante nouveauté.

Et ce cantique nouveau vient de cette nouveauté

même, il en sort, il en naît...".

 

            Vient ensuite cette méditation incomparable sur le magnifique hymne de PRUDENCE "Salvete flores martyrum", qui fait les délices des chrétiens depuis quinze siècles. (a)

            Mais l'Eglise va plus loin. L'Eglise passe outre, l'Eglise dépasse l'Apôtre. L'Eglise ne dit pas seulement qu'ils sont des premices à Dieu et à l'Agneau. L'Eglise les invoque et les nomme fleurs des martyrs. Entendant littéralement par là que les autres martyrs sont les fruits mais que ceux-ci parmi les martyrs sont les fleurs mêmes.

Salvete flores Martyrum

Salut fleurs des Martyrs

Couchés sur le chevalet, liés au chevalet,

comme des fruits liés à l'espalier

Les autres martyrs, vingt siècles de martyrs

Les siècles de siècles de martyrs

Sont littéralement les fruits de saison,

De chaque saison échelonnée sur l'espalier

Et notamment des fruits d'automne

Et mon fils même fut cueilli

Dans sa trente-troisième saison,

 

(a)Savete flores martyrum

Quos lucis ipso in limine

Christi isecutor sustulit

Centurbo nascentes rosas.

 

Vos prima Christi victima,

Grex immolatorum tener,

Aram sub ipsam simplices

Palma et coronis ludite.

 

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mais eux ces simples innocents,

Ils sont avant les fruits mêmes, ils sont la promesse du fruit.

Salvete flores Martyrum, ces enfants de moins de deux ans sont les fleurs de tous les autres Martyrs.

C'est à dire les fleurs qui donnent les autres martyrs.

Au fin commencement d'avril, ils sont la rose, fleur du pêcher.

Au plein avril, au fin commencement de mai, ils sont fleur du poirier.

Au plein mai, ils sont la rouge fleur du pommier.

Blanche et rouge ils sont la fleur même

et le bouton de la fleur et le coton du bouton.

Ils sont le bourgeon du rameau et le bourgeon de la fleur.

Ils sont l'honneur d'avril et la douce espérance.

Ils sont l'honneur et des bois et des mois.

Ils sont la jeune enfance...

Ils sont la fleur de l'aubépine qui fleurit pendant la semaine sainte.

Et la fleur de l'avant-courrière épine noire,

qui fleurit cinq semaines plus tôt.

Ils sont la fleur de toutes ces plantes et des tous ces arbres rosacés.

Promesse de tant de martyrs, ils sont les boutons de rose,

De cette rosée de sang...".

 

            (Vient le texte latin et de la traduction française de l’hymne):

            "Tel est mon paradis, dit Dieu. Mon paradis est tout ce qu'il y a de plus simple. Rien n'est aussi dépouillé que mon paradis. Aram sub ipsam au pied de l'autel même les simples enfants jouent avec leur palme et avec leur couronne de martyrs.

            Voilà ce qui se passe dans mon paradis. A quoi peut-on bien jouer. Avec une palme et des couronnes de martyrs.

            Je pense qu'ils jouent au cerceau, dit Dieu, et peut-être aux grâces (du moins je le pense, car ne croyez point qu'on me demande jamais la permission).

            Et la palme toujours verte leur sert apparemment de bâtonnet (p.232-234).”

            Cette fin d'un humour exquis, propre à nous révéler le caractère charmant de PEGUY, possède à n'en pas douter un sens symbolique très profond. Elle ne trouble aucunement le sérieux de cette méditation. Nous éprouvons la sensation profonde qu'en creusant d'une manière convergente le terrain, l'âme innocente d'un enfant, PEGUY s'y abîme et se rapproche de l'essence même de l'Etre.

 

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            V - La méditation sur la Sépulture des petits enfants dont nous allons entreprendre l'analyse hâtive diffère en ceci de la précédente, qu'elle s'attache moins aux texte qu'à la cérémonie liturgique elle-même. Citons d'abord les endroits les plus marquants du texte même, pour que les conclusions que nous allons en tirer nous deviennent plus transparentes et plus palpables:

            “Or cela (quel engagement) je le redis à cet office des morts, à qui tout vient aboutir. Auquel tout s'achemine. Office des morts pour l'enterrement d'un enfant. Le célébrant se revêt d'un surplis et d'une étole blanche.

Et comme le jour du baptême, il est allé chercher

l'enfant jusqu'au seuil de l'eglise,

Qui est le seuil de ma maison.

Et ainsi le seuil de la maison de son Père,

Ainsi le jour de cet enterrement, il va chercher

l'enfant dans la paroisse jusqu'à la Maison de son père.

Jusqu'au seuil de la maison de son père.

Et la croix même marche portée au devant de cet

enfant qui est mort dans la paroisse.

Et quand le cortège revient vers l'église

La croix marche portée devant

La croix et le prêtre et le répondant et les

enfants de choeur marchent en avant.

Et par la grande rue du village tout le village.

Toute la paroisse suit derrière

Les hommes et les femmes et les enfants.

Et les femmes pleurent et tout est blanc.

Et le célébrant chante.

Le vieux psaume du roi David

Beati immaculati in via

Heureux les Sanstache dans la voie

Heureux les immaculés dans la voie

Beati immaculati in via

Sera-t-il dit, dit Dieu, que tant de saints et de martyrs.

Les seuls qui seront réellement blancs.

Réellement purs.

Les seuls qui seront réellement sans tache seront

Ces malheureux enfants que les soldats d'Hérode massacrèrent au bras de leur mère...” (p.202)

            "La blancheur des vêtements sacrés montre à toute la paroisse qu'un nouveau petit ange vient de s'envoler au ciel afin d'intercéder pour la terre".

            Toute la paroisse prend donc une part active à la sépulture du petit enfant, à cette cérémonie qui est comme un acte officiel et public de cette vérité sans pareille que voici: L'âme d'un enfant est un univers d'innocence auquel il faut rendre des hommages proportionnés à sa grandeur.

 

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            VI - Les rapports profonds qui existants entre le peuple et la Liturgie et trouvants une belle interprétation dans le passage que nous venons de citer, attireront encore notre attention à la fin de ce chapitre.
Les endroits où nous trouvons des allusions à des textes ou à des cérémonies liturgiques sont fort nombreux. Le poète s'en sert par exemple pour donner plus de vigueur à son style prononcé :

 

"Ainsi marche l'ancien testament devant le nouveau testament.

Ainsi les historiens marchent devant les similitudes

Et les hymnes et les prières et les oraisons

Et la lente et la longue lignée des prophètes

Devant les bataillons serrés,

Devant les bataillons carrés des saints" (Saints Innocents, p.164)

On rencontre assez souvent chez lui des allusions liturgiques quand il nous dévoile les plis les plus cachés de son âme même.

Voici l'effet qu'exerce sur lui la pensée au jugement dernier:

"Quand ne sonnera plus la cloche du baptême

Et l'entrée à la Messe et le Saint-Sacrement

Et la jeune promesse et le grave serment

Et l'automne fleuri de grave chrysanthème.

 

Quand on entendra plus au coeur des grandes fêtes

Monter l'In excelsis et le Magnificat

Quand on ne verra plus sur l'océan des têtes

Tomber le Dominus et le Benedicat" (LAUREC, p.121)(56).

Si les vers cités ne prouvent rien sur l'étendue des connaissances de PEGUY d'ailleurs peu larges, elles rendent cependant un témoignage incontestable que l'époque contemporaine est marquée du sceau de l'enthousiasme liturgique.

 

            VII - PEGUY, en représentant typique du renouveau de l'idéalisme français et en bon fils de son peuple, s'est bien rendu compte que le Français aime l'art de l'Eglise avec un amour indéniable. Le Français tel que PEGUY le conçoit considère le centre de la Liturgie, donc le sacrifice de la Messe, comme l'instant le plus grand et plus solennel qui soit au monde.

Les Français énoncent cette conviction en baissant la tête, pendant l’élévation, chose d'autant plus importante qu’ils appartiennent au "peuple qui lève la tête", au “peuple qui sait parler aux grands.”

 

"Peuple de barons français, peuple qui lève la tête,

peuple qui sait parler aux grands.

Et par conséquent à moi le Très-grand.

 

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Ceux qui lèvent toujours la tête

On ne voit pas qu'ils baissent aussi la tête

A l'Offertoire et à l'Elévation du Corps de mon Fils

 

Mais ces Français qui lèvent toujours la tête

Qui ont toujours la tête droite et haute,

Quand dans une église cent cinquante

ou deux cents rangées de Français à genoux

Baissent la tête ensemble en même temps

trois fois aux trois coups de la sonnette

Pour l'Offrande et pour l'Offertoire

Et pour la Consécration et pour l'Elévation du corps de mon fils,

Ca se voit, qu'ils baissent la tête et tout le monde comprend

Que ça vaut la peine,

Que c'est un instant solennel et le plus grand mystère

et le plus grand instant qu'il y ait dans le monde"

                                                (Saints Innocents, p.76-77).

 

            VIII - Mais cet attachement à la Liturgie n'est-il pas un préjugé, une conviction arbitraire? PEGUY répond que non; elle exprime selon lui toutes les vérités sur lesquelles repose l'édifice tout entier du Christianisme: elle noue les convictions religieuses du peuple juif à celles apportées par JESUS-CHRIST et les transmet par la voie de l'universalité romaine à l'univers tout entier:

"Ainsi ma Liturgie romaine se noue à ma prédication centrale et cardinale.

Et à ma prophétie judéenne.

Et la chaîne est juive et romaine en passant par un gond, par une articulation.

Par une origine centrale.

Tout est annoncé par ma prophétie juive.

Tout au centre, tout au coeur est réalisé, tout est consommé par mon fils.
Tout est consommé, tout est célébré par ma Liturgie romaine." (Saints Innocents,  p.182-201).

            La Liturgie a d'après lui, et PEGUY tombe ici d'accord avec les doctrines orthodoxes du catholicisme, dans son ensemble autant de valeur que les Ecritures mêmes:

“Dieu parla ainsi: ‘Quel engagement, l'Eglise, ma fille, l'Eglise me le fait reprendre.

Et me le fait dire (or je ne démentirai jamais une Liturgie

Une prière, une oraison de ma fille l’Eglise)

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Je m'engage autant dans les enseignements de l'Eglise que dans mes propres Engagements.

Je m'engage autant dans une Liturgie que je me suis engagé avec Moïse.

Et que mon fils avec eux s'est engagé sur la montagne..." (ibid.,)

Les chrétiens, "le peuple liturgique" s'en sert donc comme de tout autre arme pour combattre les ennemis de la Vérité qui se trouvent éparpillés dans l'univers entier :

"Les armes de Jésus, c'est la loi Mosaïque,

Les dix commandements du peuple liturgique.

Et qu'il n'a point rayés de Rome apostolique..."

"Les armes de Jésus, c'est la race future

C'est le riche Missel, c'est la miniature

Et le ciel et l'enfer et la terre en peinture."

                         (Tapisserie de Ste-Geneviève, p.301-306)

           

            Enfin, la Liturgie est ce miroir artistique qui reflète continuellement et l'action divine dans le monde et les gestes du “peuple liturgique” dans l'histoire universelle :

"Ou encore le prophète prédit

Mon fils dit

Et moi je confirme et je consacre

Et mon Eglise confirme et célèbre

Et consacre et commémore." (Saints-Innocents, p.228)

 

            IX - PEGUY qui était un de ces catholiques qui eussent donné tout Saint Thomas pour le Stabat, le Magnificat, l'Ave Maria et le Salve Regina (LAUREC, p.20) et qui croyait à son efficacité comme prière, témoigne un respect profond à l’ensemble de la Liturgie.

Dans la grande flotte de prières, rangée en ordre de bataille, qui fend le flot de la colère divine, se trouve tout naturellement une flotte liturgique:

"Et la troisième flotte, ce sont les autres innombrables prières.

Toutes celles qui se disent à la Messe et aux Vêpres. Et au salut.

Et les prières des moines qui marquent toutes les heures du jour. Et les heureux de la nuit.

Et le Benedicite qui se dit pour se mettre à table.

Devant une bonne soupière fumante.

Toutes enfin toutes. Et il n'en reste plus." (LAUREC, p.100).   

 

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            PEGUY introduit la Liturgie dans ses méditations et creusant comme E. HELLO les détails les plus chétifs, il tâche d'en pénétrer l'essence. S'il donne à ces méditations un vernis d'humour, il fait preuve d'une originalité que nous n'avons pas nelle part rencontré jusqu'à présent. Aussi, la Liturgie joue-t-elle un rôle actif dans le Mystère des Saints-Innocents : elle y donne l'explication théologique, philosophique et artistique de ce phénomène bien réel, que l'innocente beauté de l'âme enfantine est une des plus grandes merveilles du monde. Cette place importante et capitale qu'elle occupe dans l'oeuvre de PEGUY, si bien que l'idée du poète ne serait pas compréhensible sans le concours de la Liturgie, annonce un des chefs d'oeuvre du théâtre moderne : L'Annonce faite à Marie de PAUL CLAUDEL.