CHAPITRE XXV

 

FRANCOIS COPPEE

(1848-1908)

 

 

            I - La Bonne Souffrance de FRANCOIS COPPEE.

            II - Il se montre sensible déjà avant sa conversion à la poésie du culte. Son enthousiasme pour la cérémonie du Mercredi des Cendres. La Liturgie produit des changements salutaires dans la vie intérieure des hommes.

            III - Elle est susceptible d'opérer des conversions.

            IV - Le "Démocratisme liturgique" de FRANCOIS COPPEE.

            V - Conclusion.

 

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            I - FRANCOIS COPPEE nous a légué dans sa Bonne Souffrance (1898) quelques récits ayant trait à la fois à sa vie personnelle et à sa conversion. Nous allons en extraire les passages où ces conceptions liturgiques apparaissent pleinement, en laissant de côté ses autres oeuvres qui ne comportent presque rien d'intéressant envisagé sous l'angle liturgique.

 

            II - Le bon académicien de la rue Oudinot aimait la Liturgie déjà avant sa conversion. Ce fait trahit  qu'il appartient aux Français de vieille souche chez lesquels l'amour des beautés du culte est inné :

            "Toujours, les cérémonies du culte m'émurent par leur véritable caractère d'antiquité, leur pompe harmonieuse, leur solennelle et pénétrante poésie" (p.71).

            En qualité d'ami du peuple, ses méditations liturgiques seront écrites dans un style accessible au plus simple lecteur. A propos de la touchante cérémonie du Mercredi des Cendres, COPPEE nous dit ceci :

            "Cérémonie d'un symbolisme admirable, comme toutes celles de l'Eglise d'ailleurs. Elle n'a pas seulement pour but de nous rappeler que la vie est brève, la mort prochaine, et que le peu qui restera de nous, eussions-nous été des conquérants fameux et des puissants empereurs, servira peut-être un jour à boucher la lézarde d'une muraille, ou la bonde d'un tonneau, encore que cette vérité banale soit toujours utile à redire et salutaire à méditer. Les cendres répandues sur la tête du Chrétien ont une autre signification."

 

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            COPPEE montre ensuite dans sa manière populaire ce que  CLAUDEL et tant d'autres écrivains ont fait dans un style plus guindé, que la Liturgie possède des facultés réformatrices incomparables. Les cendres recommandent à l'homme, continue-t-il, "d'être humble, quand il songe au mérite qu'il peut avoir, à la place si considérable qu'elle soit, qu'il occupe dans le monde, aux bonnes actions même qu'il a pu faire. Elles lui ordonnent aussi de réparer le mal qu'il a commis, ou, tout au moins si la faute est irrémédiable, de la regretter amèrement, et de toutes les forces de son âme.”  “Un sens profond se dégage” encore “de cette cérémonie des Cendres, qui rappelle à l'homme que la mort le menace sans cesse et qu'il doit souvent s'examiner et se juger, humblement, sévèrement avec un esprit de pénitence et de réparation" (p.213). La Liturgie transforme au surplus les moeurs du peuple, et avant tout celles des classes pauvres de Paris: "On devinait que la pauvre fille était habillée de son mieux seulement par politesse pour le bon Dieu, parce que c'était dimanche et qu'elle allait à la messe" (p.134).

 

            III - COPPEE se rattache ensuite à ce groupe d'écrivains qui ont dénoté les rapports intimes entre la Liturgie et la conversion. Il y a ajouté encore un mince vernis démocratique qui donne à ses considérations un cachet d'originalité :

            "C'est dans un quartier populaire, dans une église de faubourg, à l'une de ces messes très matinales, où ne se rencontrent que de très pauvres gens, que je voudrais conduire, pour y voir donner les cendres, un homme d'aujourd'hui, un incrédule..." pourvu qu'il sente "un amour sincère du peuple".

            Le spectateur serait ému. En voyant répandre sur leur front cette poussière, qui selon le mot d'Hamlet, contient peut-être un atome d'Alexandre et de César, et présente, en quelque sorte, l'image de tant de civilisations détruites, de tant de peuples disparus, il se souviendrait, que l'histoire n'est qu'un long cri de douleur, que partout et toujours le sort des faibles et des petits fut à peine supportable, et qu'ils n'ont jamais trouvé de meilleurs soulagements à leurs souffrances qu'en levant les yeux vers le ciel.

            Dans cette atmosphère religieuse, devant ces pauvres gens en prière, l'incrédule ... croirait en Jésus-Christ..." (p.217).

            Quoique cet optimisme à l'égard de la Liturgie nous paraisse quelque peu exagéré, le seul fait d'avoir su découvrir les rapports qui se nouent entre la prière de l'Eglise et la conversion est de haute importance pour l'étude que nous poursuivons. Nous y reconnaissons le même complexe d'idées qui nous a intéressé lors de LANCELOT et de LE SAGE comme à propos de notre analyse de HUYSMANS et de R. VALLERY-RADOT.

 

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            IV - Pour terminer, il faut que nous fassions ressortir le "démocratisme" liturgique de FRANCOIS COPPEE. Cet écrivain sympathique admire la célébration pompeuse des offices de cette Eglise qui ne se soucie pas de savoir si c'est le pauvre ou le riche qui y assiste. La Liturgie est donc d'après lui une grande et véritable école d'égalité, tandis que le "démocratisme" des démagogues n'est souvent qu'une hypocrisie déguisée:

            "C'est pour les pauvres", dit COPPEE," que l'office divin est célébré avec toute sa pompe, que le prêtre et les deux diacres revêtus de riches ornements exécutent devant l'autel les gestes et les évolutions hiératiques, que les voix des chantres et des enfants de choeur lancent sous la voûte sonore les mélopées majestueuses de la liturgie, que le grand orgue s'émeut, que tour à tour il gronde, pleure, rêve, soupire et qu'il verse, par larges ondes, la prière et l'extase sur toutes ces têtes inclinées. Ce dimanche-là, l'Eglise n'en déployait pas moins la magnificence de ses cérémonies, car elle est, quoiqu'on dise, la grande école d'égalité. Quand il reçoit un parent pauvre, ce féroce démocrate qui rêve de tout courber sous le même niveau, n'allume pourtant pas le lustre au salon, et ne descend pas à la cave chercher un panier de vieilles bouteilles. Le prêtre chrétien, lui, accueille toujours les fidèles, si humbles qu'ils soient, avec tout le luxe dont il dispose ainsi que des frères bien aimés"(p.130-132).

 

            V - Il résulte de tous ces faits énoncés que les conceptions liturgiques de FRANCOIS COPPEE ne se distinguent pas sur beaucoup de points de celles d'un simple homme du peuple. Ses connaissances sont restreintes au minimum; il s'enthousiasme pour ces cérémonies religieuses que tout bon Parisien peut connaître (60). De même que HUYSMANS aime la Liturgie en artiste parce qu'elle répond aux exigences les plus élevées de l'Art, ainsi COPPEE fait son éloge, en raison de son contenu démocratique (61). Chaque écrivain y trouve quelque chose qui remue les cordes les plus personnelles et les plus profondes de son propre être. La Liturgie est donc tout à tous.