CHAPITRE XXVI

 

EMILE ZOLA

(1840-1902)

 

 

            I - La comparaison établie entre la description d'une Extrême-onction dans le roman Rome d'EMILE ZOLA et la même cérémonie mentionnée dans la Nouvelle Héloïse de ROUSSEAU nous montre que le chef de l'école naturaliste était susceptible de goûter les splendeurs du culte.

            II - Les romans Lourdes et Rome. Le dernier livre a pour nous plus d'importance.

            III - La variété de sujets liturgiques dont ZOLA fait mention n'est pas très riche. Il connaît la signification symbolique de certaines cérémonies mais sa documentation n'est pas aussi consciencieuse que celle de FLAUBERT. Une Extrême-Onction.

            IV - Ses descriptions liturgiques font à la fois preuve de sa culture latine et de ses convictions philosophiques.

            V - Ses élans de satisfaction artistique à propos des cérémonies grandioses de Lourdes. ZOLA constate que celles-ci correspondent aux besoins de l'humanité souffrante de l'âme et du corps. Il est un maître consommé dans l'art de décrire les foules priantes et les cérémonies gigantesques.

            VI - La magnificence d'une messe célébrée par le Pape dans la basilique Saint Pierre de Rome.

            VII - Ses conceptions philosophiques lui dictent cependant malgré lui son antipathie pour les cérémonies du culte. La liturgie lui sert d'instrument pour attaquer le catholicisme et pour faire apostasier un prêtre catholique.

            VIII - Lourdes est à son avis un centre d'une "idolâtrie inoubliable" et Rome ce point du monde où les “cérémonies païennes” du catholicisme n'ont pas encore cessé de se déployer. Il a mis au service d'une philosophie anticatholique son talent vigoureux de peintre de foules en prières , et de cérémonies grandioses.

 

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            I - Maint lecteur sera quelque peu surpris de ce que nous avons ménagé à EMILE ZOLA une place parmi les “écrivains liturgiques”. Ses invectives contre "l'idolâtrie inoubliable" de Lourdes (Rome p.268) ou les "pompes dévotes" (ibid., p.282)de Rome eussent été plutôt aptes à nous suggérer la conviction qu'il fallût le considérer comme le représentant par excellence de ce groupe que nous avons désigné du nom des "écrivains antiliturgiques". Quand quelqu'un s'acharne contre les cérémonies du culte, à l'instar de ZOLA, il ne s'ensuit aucunement qu'il doive être hostile aux manifestations extérieures de la religion. On n'a qu'à comparer la description de l'Extrême Onction que nous trouvons dans le livre d'un adversaire déclaré de la liturgie (ROUSSEAU, Nouvelle Héloïse p.864), à l'analyse du même sujet dans le roman d'EMILE ZOLA ( Rome, p.505). Tandis que l'auteur de la Nouvelle Héloïse ne voit dans cette cérémonie évocatrice qu'une farce barbare qui fait cent fois mourir "de terreur" le malade agonisant "avant qu'on l'achève", ZOLA parle en revanche de "la douloureuse grandeur du spectacle" et de "la majesté tragique que la cérémonie semblait y avoir laissé..." Cet exemple choisi entre beaucoup nous force à avouer que le chef de l'école naturaliste en France eut une nature susceptible de goûter toutes les beautés que comportent certaines cérémonies religieuses.

 

            II - Les romans Lourdes (1894) et Rome (1894) sont, à n'en pas douter, les deux oeuvres de ZOLA qui nous fournissent le plus grand nombre de preuves importantes et caractéristiques. Toutefois, il est aisé de deviner la raison qui nous pousse à entourer avec un peu plus d'attention le livre où il évoque ses souvenirs romains que celui où il s'arrête à la description de ce sujet significatif dont nous nous sommes entretenus à propos des Foules de Lourdes de HUYSMANS. La ville de Rome, ce centre de la liturgie catholique, doit nous intéresser d'autant plus que c'est précisemment l'endroit où les traditions grégoriennes se sont conservées pures et attrayantes à travers la suite ininterompue des siècles (a), ces mêmes traditions qui n'ont pas peu contribué au renouveau liturgique du monde entier et en particulier de celui de l'Eglise de France.

 

            III - Si nous envisageons d'un seul coup d'oeil les deux romans Lourdes et Rome, le petit nombre de sujets liturgiques que nous y découvrons saute tout d'abord aux yeux. En dehors des cantiques en langue française, du chant Ave Maris stella (Lourdes, I,p.1), du Magnificat (ibid., II, p.164) du Lauda Sion et des descriptions de diverses Processions (ibid., I, p.283-302), ZOLA met souvent sous nos yeux la cérémonie de l'Extrême-Onction (ibid., I, p.64) (b) et il se hasarde enfin à nous évoquer une Messe basse dite par le pape lui-même dans la basilique Saint-Pierre.

 

(a)Comp.L. Veuillot, Ch.XXIII/III.)

(b) V.Le Rêve, p.70-74, Ed.Flamarion

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            Cette courte liste de motifs habituels que nous venons d'énumérer nous suggère déjà l'idée que les connaissances liturgiques de ZOLA n'étaient pas très étendues. (a) Pourtant, les textes latins extraits du Rituel nous prouvent déjà qu'il se servait à l'instar de FLAUBERT d'un manuel liturgique et qu'il était au courant de la signification symbolique de l'Extrême-Onction:

            “Il n'y avait ni les deux cierges, ni la petite table recouverte d'une nappe blanche. De même l'assistant n'ayant pas apporté le bénitier et l'aspersoir, l'Officiant dut se contenter de faire le geste bénissant la chambre et le mourant, en prononçant les paroles du rituel :

            - Asperges... dealbabor.

            Dans un long frisson... bouleversé par la douloureuse grandeur du spectacle...il ne pouvait s'attarder, il récita promptement le Credo à demi-voix.

            - Credo in unum Deum...

            Amen, répondit Don Vigilio.

            Après les prières du rituel, ce dernier balbutie les litanies, pour que le ciel prît en pitié l'homme misérable qui allait comparaître devant Dieu, si un prodige de Dieu ne lui faisait pas grâce.

            Alors, sans prendre le temps de se laver les doigts, le cardinal ouvrit la boîte des saintes huiles et se bornant à une seule onction, comme il était permis dans le cas d'urgence, il posa du bout de l'aiguille d'argent, une seule goutte sur la bouche desséchée, déjà flétrie par la mort.

            Per istam sanctam unctionem et suam piissimam misericordiam, indulgeat tibi Dominus quidquid per visum, auditum, odoratum, gustum, tactum deliquisti.

            Ah, de quel coeur brûlant de joie, il les prononçait, ces appels au pardon, pour que la divine miséricorde effaçât les péchés commis par les cinq sens, ces cinq postes de l'éternelle tentation ouvertes sur l'âme... Et l'oraison dernière fut dite, l'officiant retourna dans la chapelle, suivi de l'assistant, au milieu de l'effrayant silence qui retombait... Dans la chambre cependant, rien n'avait bougé encore, sous le poids de cette majesté tragique que la cérémonie semblait y avoir laissée" (Rome, p.504-505, V.e Lourdes I,p.64)

            Si ZOLA ne transcrit pas le texte sacré aussi rigoureusement et littéralement que le fait FLAUBERT, on ne peut lui en faire reproche, étant donné qu'il n'eut jamais l'idée de fournir une analyse esthétique de la cérémonie susdite. Il a pleinement réussi à nous donner une "tranche de vie" et c'est en effet ce qu'il s'était proposé d’y faire.

 

            IV - Comme ZOLA se piquait incessamment de ce que ses oeuvres n'étaient qu'une reproduction fidèle de la vie humaine vue à travers son propre tempérament, notre tâche devient plus complexe que nous ne l'avions soupçonné auparavant.

 

(a) ibid., p.18-19 où Zola fait preuve d’une ignorance manifeste en ce qui concerne les couleurs liturgiques

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            ZOLA prétendant ouvertement que l'Eglise catholique est l'institution la plus exécrable que subisse le genre humain à l'époque actuelle, il n'y a rien d'étonnant à ce que ses descriptions liturgiques distillent ses propres sentiments d'aversion et de dégoût. D'autre part, l'âme de cet écrivain doué d'un talent vigoureux était à la fois trop imbue de culture latine et trop sensible aux manifestations de la beauté, pour qu'il ait complètement réussi à étouffer à propos de la Liturgie toutes les exclamations d'enthousiasme.

            Les passages où les convictions personnelles de ZOLA ne se font pas jour sont donc très rares dans l'ensemble de ses oeuvres, (a) La plupart d'entre eux dévoile tout spontanément l'admiration du robuste romancier pour les cérémonies magnifiques, seraient-elles exécutées par des "simples d'esprit" (Lourdes I, p.12) ou par des représentants du luxe le plus ostentatoire, peu lui importe. Force nous est donc de signaler les endroits où ses sentiments admiratifs éclatent de toute évidence.

 

            V - La Procession aux flambeaux de Lourdes lui cause des ravissements artistiques incontestables. Elle produit sur lui l'effet d'une féerie magique et d'un rêve paradisiaque.

            "Il devait y avoir là trente mille personnes et du monde arrivait toujours, tous portaient à la main un cierge, c'étaient les trente mille cierges qui s'allumaient un à un, de proche en proche...

            - O Pierre, que c'est beau, murmura Marie, on dirait la résurrection des humbles, des petites âmes pauvres qui se réveillent et qui brillent.

            - Superbe, Superbe, répétait M. de Guersaint, dans un élan de satisfaction artistique...

            Ce fut un enchantement... Et le bercement reprenait sans fin : Ave, Ave, Ave Maria, stupéfiant l'esprit, brisant les membres, emportant peu à peu ces milliers d'êtres dans une sorte de songe éveillé, en pleine vision de paradis... Avec ce fleuve ininterrompu de vives étincelles qui coulait, coulait sans hâte, de l'air obstiné du flot débordé que rien ne barre, arrivait comme une aurore, une nuée lumineuse naissante et envahissante, qui allait finir par baigner tout l'horizon de sa gloire... Et, en effet, là-haut, l'apparition brusque des petites clartés continuait avec une régularité mécanique, comme si quelque céleste source inépuisable eût ainsi déversé cette poussière de soleil... Mais le continuel émerveillement, c'était la marche ininterrompue de ce serpent de feu, dont les anneaux d'or rampaient si doucement sur la terre noire, s'allongeaient, s'allongeaient, sans que jamais l'immense corps déployé parût finir... Une clarté bleue ruisselait, il n'y a plus que du ciel, les monuments et les arbres prenaient une apparence de rêve, dans la lueur mystérieuse des milliers de cierges, dont le nombre croissait toujours.

 

(a) Voici pourtant un exemple : "Les Ave se succédèrent, ce ne fut plus qu'un murmure, un marmottement perdu dans le bruit des ferrailles et le grondement des roues" (Lourdes, I,p.19)

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            Marie eut un soupir étouffé d'admiration, et elle ne trouvait pas de phrases, elle répétait :

            - Que c'est beau, mon Dieu que c'est beau ... Voyez donc Pierre, que c'est beau ...

            - Imaginez, mes enfants, un autre ciel, en bas, reflétant celui d'en haut, mais un ciel qu'une seule constellation, géante, tient tout entier... C'est un ostensoir d'or brûlant, qui flambe au fond des ténèbres avec un perpétuel scintillement d'étoiles en marche. Il n'y a que lui, il est gigantesque et souverain ... En vérité, je n'ai jamais rien vu de si extraordinaire.

            Il agitait les bras, il était hors de lui, débordant d'une émotion d'artiste." (Lourdes, 1/p.283-296)

            Ensuite les prêtres, avec leurs vêtements de dentelle et de broderie, les corporations avec leurs bannières éveillèrent en Zola des sensations d'ordre esthétique :

            "Les délégations du pélerinage s'y déroulaient, les bannières de soie et de velours, aux couleurs vives, flottaient dans l'incendie du couchant. Puis le clergé resplendissait, les prêtres en surplis de neige, les prêtres en chasuble d'or, pareils à un défilé d'astres. Et les encensoirs se balançaient, et le dais montait toujours ...” (Lourdes, II,p. 115 ).

            ZOLA ne s'est pas contenté seulement de signaler ce trésor incommensurable de valeurs artistiques qui se manifestent à tout le monde, dans les cérémonies de Lourdes, mais aussi constate-t-il que celles-ci relèvent l'espoir des foules à la fois souffrantes et travaillées par les douloureux problèmes de la vie.

 

            VI - L'effet produit sur ZOLA par une cérémonie splendide qui s'est déroulée dans l'église Saint-Pierre de Rome, ne se distingue pas beaucoup de celui dont nous venons de parler à propos de la Procession aux flambeaux. Confrontons donc pour nous en convaincre le passage cité plus haut avec les extraits suivants, que nous allons transcrire fidèlement :

            "La cérémonie commença. Descendu de la chaire gestatoire à l'autel de la Confession, Sa Sainteté, lentement, célébra une messe basse, assisté de quatre prélats et du pro-préfet. Au lavabo monseigneur le Majordome et monseigneur le Maître, que deux cardinaux accompagnaient versèrent sur les augustes mains de l'officiant: et, un peu avant l'élévation, tous les prélats de la cour pontificale, un cierge allumé à la main, vinrent s'agenouiller autour de l'autel. Ce fut un instant solennel, les quarante mille fidèles, réunis là, frémirent, sentir passer sur eux le vent terrible et délicieux de l'invisible, lorsque, pendant l'élévation, les clairons d'argent sonnèrent le fameux choeur des anges... Presque aussitôt, un chant aérien descendit du dôme, et la galerie supérieure où se trouvaient cachés cent vingt choristes, et ce fut un émerveillement, une extase, comme si, à l'appel des clairons, les anges eux-mêmes eussent répondu. Les voix descendirent, volaient sous les voûtes, d'une légèreté de harpes célestes; puis elles s'évanouirent en un accord suave, elles remontèrent aux cieux, avec un petit bruit d'ailes qui se perdit.

 

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            Après la messe, Sa Sainteté, encore debout à l'autel, entonna-t-elle le Te Deum, que les chantres de la Chapelle Sixtine et les choeurs reprirent, chaque partie chantant un verset, alternativement. Mais bientôt, l'assistance entière se joignit à eux, les quarante mille voix s'élevèrent, le chant d'allégresse et de gloire s'épandit dans l'immense vaisseau avec un éclat incomparable. Alors, le spectacle fut vraiment d'une extraordinaire magnificence, cet autel surmonté du baldaquin fleuri, triomphal et doré du Bernin, entouré de la cour pontificale que les cierges allumés constellaient d'étoiles, ce Souverain Pontife au centre, rayonnant comme un astre dans sa chasuble d'or, devant les bancs des cardinaux de pourpre, des archevêques et des évêques de soie violette, ces tribunes où étincelaient les costumes officiels ... Et l'hymne glorieuse de ce peuple devenait elle-même colossale, montait avec un souffle géant de tempête parmi les grands tombeaux de marbre, parmi les statues surhumaines ... Toute la foi, tout l'amour des fidèles furent suscités par le royal spectacle d'une si belle cérémonie ... "(Rome p. 286-288).

            N'entrevoit - on pas derrière cette description splendide une âme dotée du sens liturgique à un degré supérieur ? ZOLA possède en effet le génie de nous décrire magnifiquement le déroulement des cérémonies grandioses. Pour ce qui est de la pénétration des détails, qu'il nous suffise de dire qu'il fut dans ce domaine en bien des points inférieur à l'auteur de Madame Bovary.

 

            VII - Pourtant notre jugement sur les conceptions liturgiques d'EMILE ZOLA serait completement erroné si nous ne complétions les longs extraits cités plus haut par un passage d'un genre tout à fait différent. Tandis que ceux - là étaient une espèce de glorification involontaire de la beauté infinie du culte catholique, le suivant va nous révéler clairement ses sentiments d'antipathie et d'aversion pour l'Eglise et ses prières. Cette dernière caractéristique imprime un cachet tout à fait   spécial à la mentalité de ce romancier:

            "Il y fallait les quatre vingt mille fidèles que le vaisseau pouvait contenir, les grandes cérémonies pontificales, l'éclat des fêtes de Noël et de Pâques, les défilés, les cortèges déroulant le luxe sacré, dans un décor et une mise en scène de grand opéra. Et il évoqua ce qu'il savait de la splendeur d'hier, la basilique débordant d'une foule idolâtre, le cortège surhumain défilant au milieu des fronts prosternés, la croix et le glaive ouvrant la marche, les cardinaux allant deux à deux comme des dieux de pléiade, vêtus du rochet de dentelle, de la robe et du manteau de moire rouge, dont les caudataires tenaient la queue, puis le Pape enfin, en Jupiter, tout-puissant, élevé sur un pavois de velours rouge, assis dans un fauteuil de velours rouge et or, ... l'étole d'or, la tiare d'or ... Les flabelli agitaient, au - dessus de la tête du pontife unique et souverain, les grands éventails de plume, qu'on balançaient autrefois devant les idoles de la Rome antique. Et autour de la chaise de triomphe, quelle cour éblouissante et glorieuse! Toute la famille pontificale, le flot des prélats assistants, les patriarches, les archevêques, les évêques, drapés et mitrés d'or ...”(p. 205-206)  “... et, les rares fois où le Pape descendait officier encore, se montrer comme l'élu suprême, Dieu incarné sur la terre, il fallait pour entrer une carte ...

 

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            Et Pierre ...était pénétré de cette sensation qu'il se trouvait là dans un temple païen, élevé au Dieu de la lumière et de la pompe"( p.206 - 207).    Les foules se récréèrent "au spectacle des pompes dévotes. Pierre en fut saisi d'abord ... n'étant pas habitué à cette religion de lumière dont l'éclat transformait une cérémonie en une fête de plein jour ..."(p.282 ). "Les cierges, les quatre vingt sept lampes de la Confession pâlissaient, tels que des lueurs de veilleuse, dans cette aveuglante clarté: et ce n'était plus que le gala mondain du Dieu impérial de la pompe romaine. Du reste, comme au théâtre où on avait réglé cette apparition savamment, de façon qu'elle donna tout son effet, au milieu du magnifique décor où elle allait se dérouler...Et ainsi qu'au signal d'un maître de ballet, le cortège avait fait son entrée....

            C’était le cortège des solennités anciennes, la croix et le glaive ... toute la cour pontificale en soie violette, les cardinaux en cappa magna drappés de pourpre, marchant deux à deux, largement espacés, solennellement. Sa Sainteté était revêtue des vêtements sacrés ... l'amict, l'aube, l'étole, la chasuble blanche et la mitre blanche, enrichies d'or, deux cadeaux...d'une somptuosité extraordinaire ... C'était ... le Dieu que la Chrétienté adorait" (p.282-286).

            Quoique cette description magistrale ne le cède aucunement au point de vue    de la précision du détail réaliste à celles que nous avons admirées à propos du roman Lourdes, pourtant le puissant écrivain y fait usage précisément de ces épithètes qui finissent par nous rendre antipathique et odieux l'ensemble des cérémonies catholiques.ZOLA se sert donc de la Liturgie d'une manière inverse de celle de L. VEUILLOT ou de F.COPPEE. Comme ces deux apologistes n'attiraient la Liturgie dans le domaine de leurs intérêts que pour défendre leur programme soit politique soit social, le vigoureux romancier met à la fois son art de peindre des foules et ses connaissances liturgiques au service des conceptions philosophiques contraires à toute religion positive. Il ne veut rien moins que prouver que le catholicisme est loin de posséder la certitude religieuse et que l'Eglise contemporaine est par dessus le marché un organisme dégénéré au dernier point. ZOLA prétend que la Liturgie n'est pas à même d'exprimer les sentiments d'un homme éclairé; loin de là, son propre est de faire apostasier ce croyant intelligent dont l'esprit ne se laisse pas entraver par des règles fixées d'avance.

 

            VIII - En résumé, EMILE ZOLA considérait les manifestations religieuses de Lourdes comme l'expression la plus éclatante  d'une "idolâtrie inoubliable"(Rome, p. 261).(a) Quant aux pompes liturgiques de la cour papale, elles ne sont, à son avis, que la répétition des fastes païennes. L’intuition psychologique d’E. ZOLA n'est pas associée chez lui, comme on l'aurait désiré, à son talent vigoureux d'évocateur de foules en prières.

 

(a) “C'était comme un retour aux temps héroiques de l'Eglise lorsque les peuples s'agenouillaient sous le même vent de crédulité, dans l'épouvante de leur ignorance, qui s'en remettaient, pour leur bonheur, aux mains de Dieu tout puissant. Il pouvait se croire transporté à huit ou neuf siècles en arrière, aux époques de grande dévotion, quand on pensait à la fin du monde prochain (Lourdes,II,p.16)

 

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            Ses conceptions liturgiques forment, par contre, une espèce de produit final d'un double mélange: sympathie innée pour la beauté extérieure unie à une doctrine matérialiste. Tandis que la grande majorité des écrivains français montre les rapports qui existent entre la Liturgie et les phénomènes de la conversion, ZOLA fait justement le contraire: il arrange consciencieusement les éléments divers de manière à montrer comment la Liturgie fournit sa part pour donner le coup de grâce à la conviction religieuse d'un prêtre français. Le génie liturgique de l'auteur de "Lourdes" et de "Rome" consiste donc à avoir mis au service d'une philosophie anti-catholique son talent incomparable de peintre de foules en prières et de cérémonies grandioses.